À l'aube des années 1950,
John Ford, le légendaire cinéaste à qui l'on doit déjà des chefs-d'œuvre tels que
La chevauchée fantastique ou
Rio Grande, s'attelle à un nouveau western épique. Il s'agit de porter à l'écran le roman éponyme d'
Alan Le May, lui-même inspiré d'une sordide histoire vraie : l'enlèvement d'une jeune fille blanche par des Comanches au Texas en 1836. Ainsi nait
La prisonnière du désert, tourné dans les décors mythiques de Monument valley, en Technicolor et en Cinemascope. Un projet ambitieux qui marquera la 16
e collaboration entre
Ford et son acteur fétiche,
John Wayne.
L'intrigue de
La prisonnière du désert nous plonge dans le rude Ouest américain d'après la Guerre de Sécession.
Ethan Edwards, un vétéran amer et raciste interprété par
John Wayne, part sur les traces de sa nièce
Debbie, enlevée lors d'un raid comanche meurtrier. Accompagné de
Martin Pawley, son neveu adoptif métis,
Ethan se lance dans une quête impitoyable à travers les grands espaces hostile de l'Ouest.
D'emblée, le scénario inscrit
La prisonnière du désert dans la veine des plus grands westerns, convoquant les figures archétypales du genre, mais
Ford parvient à éviter l'écueil des clichés éculés grâce à une certaine complexité des personnages principaux.
Ethan Edwards, campé avec une noirceur rarement égalée par
John Wayne, est un anti-héros torturé, prisonnier de sa soif de vengeance et de son intolérance. De fait, cette composition marqua une étape dans la carrière de la star, qui décida même de donner à l'un de ses fils le prénom d'
Ethan. À ses côtés,
Jeffrey Hunter, l'un des acteurs fétiches de
Ford, apporte avec son personnage de
Martin Pawley un contrepoint humaniste bienvenu. La confrontation tragique entre ces deux hommes aux idéaux divergents confère à l'œuvre une dimension philosophique prenante.
Au-delà du scénario haletant,
La prisonnière du désert marque surtout par son approche nuancée du choc des cultures et de la conquête de l'Ouest. Loin des postures manichéennes, le film dresse un constat lucide sur les violents affrontements entre colons et Amérindiens que la fièvre expansionniste opposa. Une réflexion d'autant plus frappante qu'elle se déploie sur les toiles de fond grandioses de Monument valley, sublime théâtre des haines séculaires entre deux mondes condamnés à s'entredéchirer.
La réalisation sobre et maîtrisée de
Ford sublime ces thématiques poignantes. Malgré quelques longueurs, le rythme reste tendu sur le fil de cette épopée dépouillée. La photographie, d'une beauté à couper le souffle, saisit avec brio la démesure hostile mais sublime de ces contrées. Un parti pris esthétique renforcé par l'utilisation novatrice du Cinemascope et de la couleur, une première pour
Ford qui avait pris l'habitude, très avant-gardiste pour l'époque, de filmer les coulisses de ses tournages.
Que dire enfin des interprètes ? Si
John Wayne est évidemment magistral, ne cédant ni à la facilité ni au sur-jeu malgré un rôle d'une noirceur inégalée, la performance de
Natalie Wood en jeune fille kidnappée force le respect. La future star de
West side story apporte beaucoup de nuances à son rôle de
Debbie, épaulée dans les scènes d'enfance par sa propre sœur
Lana Wood. Quant à
Jeffrey Hunter, sa composition sobre mais intensément humaine de
Martin Pawley fait merveille. À leurs côtés, d'autres fidèles de
Ford comme
Vera Miles ou
Harry Carey Jr., fils du regretté
Harry Carey à qui le film rend hommage, complètent un
casting de haut vol.
La prisonnière du désert n'est certes pas un chef-d'œuvre absolument parfait. Son rythme inégal et ses figures parfois trop typées lui valent quelques défauts. Mais l'immense majorité de ses qualités éclipsent largement ses petits travers. Du traitement réussi des thèmes majeurs jusqu'à la beauté époustouflante des paysages en passant par la noirceur inédite du rôle de
Wayne, ce western référentiel laisse une empreinte indélébile. Une fresque d'une ambition rarement égalée, portée par un cinéaste au sommet de son art. Un classique incontournable, même si mon admiration pour cette œuvre demeure tempérée tant je reste hermétique aux westerns.
Note :
5 / 10