Lancer un projet de film en 2002 pour n'en voir l'aboutissement qu'en 2014, il faut l'audace et la persévérance d'un cinéaste comme Richard Linklater. Boyhood suit le parcours de Mason, interprété par Ellar Coltrane, sur une période de douze années, de ses six ans à sa majorité. Un concept pour le moins original qui fascine autant qu'il intrigue.

Le film brosse le portrait d'une famille texane recomposée dans laquelle évolue Mason, tiraillé entre son père Ethan Hawke, une figure aimante mais trop souvent absente, et sa mère Patricia Arquette enchaînant les fréquentations malsaines. Un quotidien a priori banal mais scruté d'année en année avec une minutie fascinante, conférant au récit sa puissante résonance émotionnelle.

Si l'originalité du procédé ne fait aucun doute, le scénario en lui-même manque parfois cruellement de relief. Linklater semble avoir trop voulu singer le rythme lancinant de la vie, alternant moments forts et longues plages ternes. Un parti pris audacieux, mais qui n'est pas sans faiblesses ; les ellipses nombreuses rendant certains arcs narratifs artificiels. C'est d'ailleurs un des regrets que je nourris à l'égard du film : sa fin, ainsi que certains pans comme les relations amoureuses de la mère, qui manquent singulièrement de justesse et de nuances. Un sentiment de frustration que renforce le traitement expéditif réservé au personnage de Samantha, la sœur de Mason à peine ébauchée.

Le film repose alors énormément sur ses interprètes pour donner chair à ces existences parfois trop convenues. Un défi brillamment relevé par Patricia Arquette, époustouflante en mère au bord de la rupture, épuisée mais ne baissant jamais les bras. Ethan Hawke, fidèle collaborateur de Linklater, campe un père souvent défaillant mais toujours bienveillant dans des scènes parmi les plus réussies du métrage. Quant au jeune Ellar Coltrane, véritablement « collaborateur artistique » du cinéaste selon ses propres dires, son évolution naturelle fait merveille et confère à son personnage une grâce particulière.

Sur le fond, Boyhood ausculte avec une sincérité déconcertante les thématiques chères à Linklater : le poids des origines, la fuite du temps qui n'épargne personne, l'insouciance de la jeunesse immanquablement rattrapée par les affres de la vie d'adulte. Des sujets plutôt convenus mais abordés ici avec une acuité saisissante, à l'image de cette réplique finale résumant la beauté mélancolique de l'entreprise : « Mais quel est donc le sens de tout ça ? ». Une phrase qui, comme un prolongement naturel du parti pris immersif du cinéaste, invite à se plonger dans nos propres souvenirs d'enfance sur un souffle d'émotion pudique mais intense.

D'une réalisation élégante dans sa sobriété, soutenue par une bande-son racée jalonnant les années, Boyhood impressionne donc par son ambition davantage que par sa réussite toujours un peu inégale. Un film à l'image de la vie elle-même : bancal, incomplet, frustrant parfois, mais d'une vérité désarmante vous happant malgré vous.

Expérience cinématographique unique aux accents naturalistes proches des chroniques de Michael Apted (Seven up !) ou de la trilogie Before du réalisateur lui-même, Boyhood creuse les sillons d'un cinéma humaniste d'une sincérité à la fois attachante et dérangeante. Un miracle de longévité dont on ne sort pas toujours comblé, notamment à cause d'un doublage français pour le moins laborieux, mais assurément ému par ce condensé d'existence aussi banal que bouleversant.

Note : 7 / 10