Disjoncteur
Erwan Bracchi
C'est avec une grande peine que les habitants du quartier St Jean de Domuse apprirent, il y a une semaine, le décès de l'ensemble du personnel ainsi que des patients de l'hôpital Marie Curie, soit près de trois mille personnes, dont trois cents médecins et plus de six cents patients. Endeuillé, le quartier, dont une grande partie de l'économie reposait sur les emplois que représentait l'hôpital, vit depuis une semaine dans l'horreur et dans l'incompréhension la plus totale. En effet, la cause de ce drame n'a pour l'instant pas pu être déterminée, et, selon les rapports de police, les témoignages des équipes de secours et ceux de quelques témoins, il est peu vraisemblable qu'à l'origine de cette hécatombe soit la coupure d'électricité qui eut lieu dans la nuit de neuf juillet et qui dura jusqu'à l'aube. C'est donc pour éclaircir un mystère qui coûta la vie à plus de trois mille personnes que je me rendis cette semaine sur les lieux, afin de mener mon enquête.
Avant de me rendre au quartier St Jean, je consultai les rapports d'autopsie, de police et des photographies des victimes. Tout concordait, ces dernières avaient subitement succombé à un arrêt cardiaque et il était logiquement impossible que toutes fussent atteintes de maladies cardio-vasculaires ou souffrissent de troubles du cœur, quels qu'ils fussent. L'arrêt avait été brutal, sans qu'aucun signe n'eût pu alerter le personnel soignant ou bien encore les patients. Cependant, les autopsies révélaient que l'heure du décès n'avait pas été la même pour toutes les victimes, fait qui n'était pas surprenant en soi et qui eût pu confirmer l'hypothèse d'une épidémie, mais cela eût signifié qu'il ne faudrait pas prendre en compte le fait, intriguant s'il en était, que, chronologiquement, les décès s'étaient avant tout succédés étage après étage, à partir du rez-de-chaussée, ce qui laissait à penser que, épidémie ou non, la cause de ce carnage sans nom s'était à l'origine trouvée au rez-de-chaussée de l'un des bâtiments de l'hôpital. Les rapports de police, ainsi que ceux des équipes de secours et des pompiers qui étaient intervenus, n'apportaient en revanche aucune information qui eût pu m'éclairer d'avantage, puisqu'il ne s'agissait en effet que de vagues descriptions de personnes inertes par centaines, soit allongées sur leur lit, soit écroulées sur le sol, ou bien encore, plus rarement, de chirurgiens tête plongée dans le corps ouvert d'un patient. Enfin, selon des témoins oculaires, le courant était revenu dans tout l'hôpital au petit matin, sans aucune intervention extérieure, sans raison, comme si de rien n'avait été.
Nadia ne m'accompagna pas, bien qu'elle m'eût imploré de venir, en raison de ce que j'étais top inquiet de ce qui pouvait se tapir dans les recoins les plus sombres de l'hôpital désormais fantôme. Lorsque j'arrivai, je constatai que les divers accès avaient tous été condamnés, sans exception, ce que je pouvais comprendre, bien que cela ne m'empêchât pas de m'introduire par une fenêtre laissée entrouverte.
À l'intérieur, tout paraissait normal, si l'on excepte l'absence des personnes qui avaient fait la vie de cet établissement, et l'odeur y était la même que celle que l'on peut humer dans n'importe quel centre hospitalier, bien que celui-ci fût, pour l'occasion, plutôt inhospitalier. Le silence sonore qui régnait fut donc la seule chose qui provoqua en moi l'angoisse la plus pesante qui fût, qui ne devait pas me quitter jusqu'à ma sortie, qui fut plus que précipitée, je le confesse volontiers, mais je reviendrai plus tard sur cet épisode malheureux de mon enquête.
Je décidai tout d'abord de me rendre au sous-sol, afin de remettre le courant, qui avait été coupé par les services de police, et m'enfonçai donc assez rapidement dans d'oppressantes ténèbres, mais je cesse là mes lentes descriptions, dont il semblerait, à en juger par certaines lettres que quelques-uns d'entre vous me fîtes parvenir il y a peu, que mes adjectifs surnuméraires et mes phrases alambiquées ne soient pas du meilleur des goûts, et bien plutôt du meilleur dégoût, selon certains, pour quoi je m'en vais de ce pas accélérer quelque peu le cours des choses, car il est bien vrai qu'introduire le moindre suspense dans une enquête qui soulève d'elle-même et sans artifice l'effroi dans les cœurs les plus endurcis. Me voilà donc au sous-sol, où je trouve assez aisément le disjoncteur et m'empresse de remettre le courant, et la lumière est. De retour au rez-de-chaussée, j'entame mon exploration, rassuré et plein d'espoir quant à la possibilité de découvrir ce qui a causé la mort de plus de trois mille personnes. Le linoléum jaunâtre crisse sous mes pieds, tandis que je m'enfonce dans les couloirs labyrinthiques aux murs blafards. Sur les côtés, les chambres sont toutes vides, les lits défaits pour la plupart et les salles d'attente ne sont plus que des salles d'absence. Après avoir exploré l'endroit en profondeur, sans succès et quelque peu désappointé, j'emprunte l'ascenseur et me rends directement au premier étage, où le même silence m'accueille en son sein creux et où le même linoléum crasseux se déroule à chacun de mes pas. Après une heure passée à inspecter les moindres recoins de l'étage, c'est sans espoir que je me rends de nouveau dans l'ascenseur pour me rendre à l'étage suivant. Les portes se referment, puis l'ascenseur démarre avant de s'arrêter brusquement après une secousse qui manque de me faire tomber. Plus de lumière, enfin ! Après deux heures d'investigations infructueuses, j'étais presque heureux de l'incident, encore que, les portes bloquées, je m'imaginasse déjà pourrissant, quelques jours plus tard, après être mort d'inanition dans d'atroces souffrances, ce qui n'arriva pas, puisque, un quart d'heure plus tard à peine, les portent se rouvrirent sur un spectacle épouvantable. Des centaines de personnes baignaient dans ce qui ne pouvait être que du sang, certaines le ventre ouvert et les tripes à l'air, des râles sans fin et sans nombre se faisaient écho dans les couloirs et, lorsque j'entrai, des visages sans yeux et décharnés me dévisagèrent avant de hurler, de hurler mon nom tout en m'incitant violemment à m'enfuir au plus vite, avant qu'il ne fût trop tard, puis je sentis un souffle glacial dans mon dos et les voix me crièrent de ne jamais me retourner, de courir de toutes mes forces et sortir de cet enfer tant qu'un souffle de vie me restait, ce que je fis sans réfléchir, glissant ici dans une flaque pourpre abominable, là sur un moribond à l'agonie. C'est essoufflé que j'arrivai au bas des escaliers et me glissai dehors par la sortie de secours qui se trouvait non loin.
Chers lecteurs, j'avoue ne me rappeler rien d'autre et n'être pas retourné dans ce labyrinthe infernal, trop effrayé que j'étais d'ajouter ma vie aux trois mille autres, prisonnières de ce que j'avais pendant quelques secondes pu sentir dans mon dos, mais que je n'avais pas eu le courage de regarder en face. C'est donc sans explication, une fois de plus, que je retournai dans les bureaux du Monde de Domuse, ma chair encore froide, mes pensées confuses et mes mains tremblantes.
Nadia me dit, après que lui eus conté mes sinistres aventures, que ce que j'avais vécu ne lui rappelait en rien les événements dont elle avait elle-même été victime, raison pour laquelle je ne puis pas même me permettre de relier le tragique événement de l'hôpital Marie Curie aux disparitions de Crémieux.
Avant de me rendre au quartier St Jean, je consultai les rapports d'autopsie, de police et des photographies des victimes. Tout concordait, ces dernières avaient subitement succombé à un arrêt cardiaque et il était logiquement impossible que toutes fussent atteintes de maladies cardio-vasculaires ou souffrissent de troubles du cœur, quels qu'ils fussent. L'arrêt avait été brutal, sans qu'aucun signe n'eût pu alerter le personnel soignant ou bien encore les patients. Cependant, les autopsies révélaient que l'heure du décès n'avait pas été la même pour toutes les victimes, fait qui n'était pas surprenant en soi et qui eût pu confirmer l'hypothèse d'une épidémie, mais cela eût signifié qu'il ne faudrait pas prendre en compte le fait, intriguant s'il en était, que, chronologiquement, les décès s'étaient avant tout succédés étage après étage, à partir du rez-de-chaussée, ce qui laissait à penser que, épidémie ou non, la cause de ce carnage sans nom s'était à l'origine trouvée au rez-de-chaussée de l'un des bâtiments de l'hôpital. Les rapports de police, ainsi que ceux des équipes de secours et des pompiers qui étaient intervenus, n'apportaient en revanche aucune information qui eût pu m'éclairer d'avantage, puisqu'il ne s'agissait en effet que de vagues descriptions de personnes inertes par centaines, soit allongées sur leur lit, soit écroulées sur le sol, ou bien encore, plus rarement, de chirurgiens tête plongée dans le corps ouvert d'un patient. Enfin, selon des témoins oculaires, le courant était revenu dans tout l'hôpital au petit matin, sans aucune intervention extérieure, sans raison, comme si de rien n'avait été.
Nadia ne m'accompagna pas, bien qu'elle m'eût imploré de venir, en raison de ce que j'étais top inquiet de ce qui pouvait se tapir dans les recoins les plus sombres de l'hôpital désormais fantôme. Lorsque j'arrivai, je constatai que les divers accès avaient tous été condamnés, sans exception, ce que je pouvais comprendre, bien que cela ne m'empêchât pas de m'introduire par une fenêtre laissée entrouverte.
À l'intérieur, tout paraissait normal, si l'on excepte l'absence des personnes qui avaient fait la vie de cet établissement, et l'odeur y était la même que celle que l'on peut humer dans n'importe quel centre hospitalier, bien que celui-ci fût, pour l'occasion, plutôt inhospitalier. Le silence sonore qui régnait fut donc la seule chose qui provoqua en moi l'angoisse la plus pesante qui fût, qui ne devait pas me quitter jusqu'à ma sortie, qui fut plus que précipitée, je le confesse volontiers, mais je reviendrai plus tard sur cet épisode malheureux de mon enquête.
Je décidai tout d'abord de me rendre au sous-sol, afin de remettre le courant, qui avait été coupé par les services de police, et m'enfonçai donc assez rapidement dans d'oppressantes ténèbres, mais je cesse là mes lentes descriptions, dont il semblerait, à en juger par certaines lettres que quelques-uns d'entre vous me fîtes parvenir il y a peu, que mes adjectifs surnuméraires et mes phrases alambiquées ne soient pas du meilleur des goûts, et bien plutôt du meilleur dégoût, selon certains, pour quoi je m'en vais de ce pas accélérer quelque peu le cours des choses, car il est bien vrai qu'introduire le moindre suspense dans une enquête qui soulève d'elle-même et sans artifice l'effroi dans les cœurs les plus endurcis. Me voilà donc au sous-sol, où je trouve assez aisément le disjoncteur et m'empresse de remettre le courant, et la lumière est. De retour au rez-de-chaussée, j'entame mon exploration, rassuré et plein d'espoir quant à la possibilité de découvrir ce qui a causé la mort de plus de trois mille personnes. Le linoléum jaunâtre crisse sous mes pieds, tandis que je m'enfonce dans les couloirs labyrinthiques aux murs blafards. Sur les côtés, les chambres sont toutes vides, les lits défaits pour la plupart et les salles d'attente ne sont plus que des salles d'absence. Après avoir exploré l'endroit en profondeur, sans succès et quelque peu désappointé, j'emprunte l'ascenseur et me rends directement au premier étage, où le même silence m'accueille en son sein creux et où le même linoléum crasseux se déroule à chacun de mes pas. Après une heure passée à inspecter les moindres recoins de l'étage, c'est sans espoir que je me rends de nouveau dans l'ascenseur pour me rendre à l'étage suivant. Les portes se referment, puis l'ascenseur démarre avant de s'arrêter brusquement après une secousse qui manque de me faire tomber. Plus de lumière, enfin ! Après deux heures d'investigations infructueuses, j'étais presque heureux de l'incident, encore que, les portes bloquées, je m'imaginasse déjà pourrissant, quelques jours plus tard, après être mort d'inanition dans d'atroces souffrances, ce qui n'arriva pas, puisque, un quart d'heure plus tard à peine, les portent se rouvrirent sur un spectacle épouvantable. Des centaines de personnes baignaient dans ce qui ne pouvait être que du sang, certaines le ventre ouvert et les tripes à l'air, des râles sans fin et sans nombre se faisaient écho dans les couloirs et, lorsque j'entrai, des visages sans yeux et décharnés me dévisagèrent avant de hurler, de hurler mon nom tout en m'incitant violemment à m'enfuir au plus vite, avant qu'il ne fût trop tard, puis je sentis un souffle glacial dans mon dos et les voix me crièrent de ne jamais me retourner, de courir de toutes mes forces et sortir de cet enfer tant qu'un souffle de vie me restait, ce que je fis sans réfléchir, glissant ici dans une flaque pourpre abominable, là sur un moribond à l'agonie. C'est essoufflé que j'arrivai au bas des escaliers et me glissai dehors par la sortie de secours qui se trouvait non loin.
Chers lecteurs, j'avoue ne me rappeler rien d'autre et n'être pas retourné dans ce labyrinthe infernal, trop effrayé que j'étais d'ajouter ma vie aux trois mille autres, prisonnières de ce que j'avais pendant quelques secondes pu sentir dans mon dos, mais que je n'avais pas eu le courage de regarder en face. C'est donc sans explication, une fois de plus, que je retournai dans les bureaux du Monde de Domuse, ma chair encore froide, mes pensées confuses et mes mains tremblantes.
Nadia me dit, après que lui eus conté mes sinistres aventures, que ce que j'avais vécu ne lui rappelait en rien les événements dont elle avait elle-même été victime, raison pour laquelle je ne puis pas même me permettre de relier le tragique événement de l'hôpital Marie Curie aux disparitions de Crémieux.
Domuse, le 1er août.
W.E.B.
W.E.B.
Le 1 août 2007