Double foyer
Julien Lepage
Chers lecteurs, je suis très heureux d'être à la tête de la rubrique policière de ce premier numéro du Monde de Saint-Ronald des Monts qui, comme vous le savez certainement, est la réplique de l'édition domusienne qui est vendue chaque jour à des milliers d'exemplaires, et nous espérons bien évidement obtenir d'aussi bons résultats, mais je m'éloigne du sujet ! Nous ne nous connaissons pas encore, aussi vous dois-je de me présenter. Je me nomme Gérard-Simon, et certains d'entre vous me connaissent déjà, car j'officiai jusqu'à présent à l'hôpital des trépassés en tant que chirurgien cardiologue, avant de me reconvertir dans le journalisme, à l'occasion de la création de ce quotidien. Bien entendu, je ne prétends pas jouir du talent d'enquêteur de mon homologue de Domuse, à savoir l'homme connu sous le mystérieux acronyme W.E.B., mais je pense néanmoins être parvenu à un résultat concluant à la suite de ma première enquête, tout aussi palpitante qu'étonnante, mais je ne vous en dit pas plus et vous laisse découvrir la toute première aventure policière du Monde de Saint-Ronald des monts !
Lundi dernier, je recevais un appel du commissariat de la ville, qui me confiait que l'une de leurs enquête les avait conduit à une impasse, et que, si cela m'intéressait, ils seraient tout disposés à m'en confier la responsabilité, et par là même, la résolution éventuelle, et à l'heure où je dicte ces mots1, je ressens à nouveau cette appréhension qui me noua l'estomac à la description de l'affaire que me fit monsieur le commissaire.
Il s'agissait d'un homicide particulièrement atroce, perpétué sur la personne de Charles-Victorien du Houpet, plus connu des habitants de notre belle ville par le sobriquet de Charly le clodo.
Oui, c'est avec peine que, comme vous, j'appris la triste nouvelle.
Le pauvre homme, marié depuis maintenant près de trois ans avec une charmante jeune femme, de vingt ans sa cadette, fut retrouvé assassiné, gisant au milieu du salon de la maison flambant neuve que le couple venait d'acquérir. Et plus surprenant encore, plus aucune trace de son épouse ne put être retrouvée. La belle s'était visiblement fait la malle, assurément coupable.
Cependant, Karine Ferreira, car c'était là son nom – ou du moins le nom qu'elle avait l'habitude d'employer – était une personne qui, d'après les services civils, n'existait pas ! La seule trace que nous avions concernant cette personne se trouvait être le contrat de mariage qu'elle signa avec son compagnon, Charly. Aucun acte de naissance, aucun diplôme, aucun compte dans une banque, bref, aucun document officiel ne pouvait confirmer l'existence de cette personne !
Pourtant, dans l'entourage de Charly, Karine était connue, et même appréciée. « C'était une fille adorable. », nous confie Kzfgpj, l'un des meilleurs amis de la victime.
« Une fieffée damoiselle ! », ajoute Lulu, un ancien voisin.
« On avait le même shampoing ! », nous précise même Jenny, une amie d'enfance.
Comme vous l'avez compris, il s'agissait de retrouver cette femme ! Bien entendu, ma première idée fut de recueillir les empreintes digitales de la fugitive, et de les comparer avec les archives de la police. Peut-être s'agissait-il d'une tueuse en série, dévoreuse d'homme. La collecte des empreintes ne posa aucune difficulté.
En revanche, la comparaison à l'aide des documents de la police s'avéra problématique, puisque j'appris de source officielle que ces archives en question – stockées en format numérique – furent accidentellement effacées par un stagiaire à la brigade anti-criminalité.
Cette piste se révéla donc être un véritable cul-de-sac, et il fallait désormais trouver autre chose, raison pour laquelle les forces de l'ordre avaient décidés de me confier l'enquête. Mais comme eux, je dois avouer que je n'avais pas la moindre idée.
C'est finalement au moment d'aller me coucher, le soir venu, que j'eu une idée, farfelue certes, mais qui pouvait se révéler diablement efficace ! Je me rendis une nouvelle fois sur les lieux du crime, mon idée et une valse de Chopin en tête. Sur place, je me glissai sous les draps du lit conjugal, afin de m'imprégner de l'odeur corporelle de la jeune femme. Je dormi donc cette nuit-là du côté qui me semblait être celui de la fille.
J'espérais ne pas me tromper, mais l'un des deux côtés sentait plutôt le parfum féminin tandis que l'autre sentait franchement la charcuterie.
Le lendemain matin, à la première heure, je fonçai – sans prendre de douche afin de conserver l'odeur – à la maison d'arrêt de Saint-Ronald des Monts, et demandai à m'entretenir avec Frédéric Splinter, l'être mi-homme mi-ragondin des mers qui fut arrêté il y a quelques mois, finalement découvert, vivant dans les égouts. Il fut condamné rétroactivement pour des crimes qu'il avait commis des années auparavant, et notamment la célèbre affaire des stylos volés, dont tout le monde se rappelle bien évidemment.
Cependant, ce que l'on sait moins, c'est que Frédéric a connu beaucoup de filles dans sa vie.
On peut même assurément dire que c'est un homme à femmes ! Au point qu'il avait été désigné par un célèbre magazine people comme la personne à avoir eu des relations sexuelles avec le plus grand nombre d'êtres humains de tous les temps. En plus de cela, étant à moitié ragondin, il dispose d'un odorat absolument hors du commun, lui permettant de reconnaitre l'odeur de n'importe quelle femme qu'il eut un jour côtoyé, et c'est donc le cœur plein d'espoir que je demandai audition du prisonnier, qui venait tout juste d'effectuer la moitié de sa peine2. Après avoir obtenu l'agrément des autorités compétentes, j'obtins la permission de m'entretenir avec le délinquant à qui je demandai prestement de me renifler, encore imprégné de l'odeur de la disparue que j'étais.
« Nom de nom ! », s'exclama le rongeur humanoïde. « Mais c'est Thyffannÿes Kringlüskinovitzkov ! ». Pour ceux qui ne connaissent pas cette personne, il s'agit de l'épouse de Carl Bidon, celui-là même qui s'était illustré pendant l'effroyable guerre du fromage, du 15 janvier 2002 au 17 janvier 2002, en remplissant la lourde fonction de maire de Saint-Ronald des Monts.
Il fut destitué au lendemain de la guerre. Cependant, il a laissé un souvenir impérissable à notre belle ville, érigeant une statue à son effigie dans le parc Judith Poisson, face à l'hôtel de ville. Ce monument qui fait désormais la fierté de Saint-Ronald des Mont est le point culminant de la ville, car haut de plus de cent cinquante mètres !
Mais je m'égare, et pour en revenir à ma palpitante enquête, je savais à présent que cette femme était louche, et qu'il me fallait l'interroger au plus vite, aussi décidais-je de me rendre à son « domicile ». Mais quel était finalement son domicile ?
Habitait-elle chez Charly ou chez Carl ? Pourquoi ce nom d'emprunt ?
J'arrivai chez la belle femme quelques heures après mon séjour en prison, et celle-ci se trouvait effectivement être à son domicile, en compagnie de son époux, Carl. Icelle était afférée à tistre quelque bahutte turinois qui, une fois tissu, serait du plus bon goût sur son mari. Il faut préciser que Thyffannÿes soulait coudre, mais aujourd'hui, avec la justice, elle devrait découdre !
À peine arrivé lui passais-je les menottes au poignet, à la grande surprise de son concubin qui, passablement enclin à la violence, me décrocha derechef un uppercut, qu'il prononçait volontiers, fidèle aux origines des mots qu'il était, à l'anglo-saxonne (you perkeute). Cependant, sa prononciation ne fit que peu de différence pour ma mâchoire, méchamment fracturée.
Nonobstant cette confrontation mal avisée, je pus placer la jeune fille en garde à vue, et ainsi l'interroger sur son emploi du temps des derniers mois.
Je vous passe volontiers les détails concernant les longues heures que dura l'interrogatoire, et vous communique sans plus attendre les conclusions auxquelles je suis arrivé : il s'avéra que la jeune marocaine était victime d'une forme de ce que l'on appelle communément « la schizophrénie » !
Oui, elle vivait tantôt une double vie, s'appelant dans un cas Thyffannÿes Kringlüskinovitzkov, épouse Bidon, et dans l'autre Karine Ferreira, épouse du Houpet.
Et c'est sur les conseils de son psychiatre, préféré rester anonyme, qu'elle décida de mettre fin à l'une de ses vies, au détriment du regretté Charly. La jeune femme passera le restant de ses jours en prison, et désormais, seules ses lunettes seront à double foyer.
Lundi dernier, je recevais un appel du commissariat de la ville, qui me confiait que l'une de leurs enquête les avait conduit à une impasse, et que, si cela m'intéressait, ils seraient tout disposés à m'en confier la responsabilité, et par là même, la résolution éventuelle, et à l'heure où je dicte ces mots1, je ressens à nouveau cette appréhension qui me noua l'estomac à la description de l'affaire que me fit monsieur le commissaire.
Il s'agissait d'un homicide particulièrement atroce, perpétué sur la personne de Charles-Victorien du Houpet, plus connu des habitants de notre belle ville par le sobriquet de Charly le clodo.
Oui, c'est avec peine que, comme vous, j'appris la triste nouvelle.
Le pauvre homme, marié depuis maintenant près de trois ans avec une charmante jeune femme, de vingt ans sa cadette, fut retrouvé assassiné, gisant au milieu du salon de la maison flambant neuve que le couple venait d'acquérir. Et plus surprenant encore, plus aucune trace de son épouse ne put être retrouvée. La belle s'était visiblement fait la malle, assurément coupable.
Cependant, Karine Ferreira, car c'était là son nom – ou du moins le nom qu'elle avait l'habitude d'employer – était une personne qui, d'après les services civils, n'existait pas ! La seule trace que nous avions concernant cette personne se trouvait être le contrat de mariage qu'elle signa avec son compagnon, Charly. Aucun acte de naissance, aucun diplôme, aucun compte dans une banque, bref, aucun document officiel ne pouvait confirmer l'existence de cette personne !
Pourtant, dans l'entourage de Charly, Karine était connue, et même appréciée. « C'était une fille adorable. », nous confie Kzfgpj, l'un des meilleurs amis de la victime.
« Une fieffée damoiselle ! », ajoute Lulu, un ancien voisin.
« On avait le même shampoing ! », nous précise même Jenny, une amie d'enfance.
Comme vous l'avez compris, il s'agissait de retrouver cette femme ! Bien entendu, ma première idée fut de recueillir les empreintes digitales de la fugitive, et de les comparer avec les archives de la police. Peut-être s'agissait-il d'une tueuse en série, dévoreuse d'homme. La collecte des empreintes ne posa aucune difficulté.
En revanche, la comparaison à l'aide des documents de la police s'avéra problématique, puisque j'appris de source officielle que ces archives en question – stockées en format numérique – furent accidentellement effacées par un stagiaire à la brigade anti-criminalité.
Cette piste se révéla donc être un véritable cul-de-sac, et il fallait désormais trouver autre chose, raison pour laquelle les forces de l'ordre avaient décidés de me confier l'enquête. Mais comme eux, je dois avouer que je n'avais pas la moindre idée.
C'est finalement au moment d'aller me coucher, le soir venu, que j'eu une idée, farfelue certes, mais qui pouvait se révéler diablement efficace ! Je me rendis une nouvelle fois sur les lieux du crime, mon idée et une valse de Chopin en tête. Sur place, je me glissai sous les draps du lit conjugal, afin de m'imprégner de l'odeur corporelle de la jeune femme. Je dormi donc cette nuit-là du côté qui me semblait être celui de la fille.
J'espérais ne pas me tromper, mais l'un des deux côtés sentait plutôt le parfum féminin tandis que l'autre sentait franchement la charcuterie.
Le lendemain matin, à la première heure, je fonçai – sans prendre de douche afin de conserver l'odeur – à la maison d'arrêt de Saint-Ronald des Monts, et demandai à m'entretenir avec Frédéric Splinter, l'être mi-homme mi-ragondin des mers qui fut arrêté il y a quelques mois, finalement découvert, vivant dans les égouts. Il fut condamné rétroactivement pour des crimes qu'il avait commis des années auparavant, et notamment la célèbre affaire des stylos volés, dont tout le monde se rappelle bien évidemment.
Cependant, ce que l'on sait moins, c'est que Frédéric a connu beaucoup de filles dans sa vie.
On peut même assurément dire que c'est un homme à femmes ! Au point qu'il avait été désigné par un célèbre magazine people comme la personne à avoir eu des relations sexuelles avec le plus grand nombre d'êtres humains de tous les temps. En plus de cela, étant à moitié ragondin, il dispose d'un odorat absolument hors du commun, lui permettant de reconnaitre l'odeur de n'importe quelle femme qu'il eut un jour côtoyé, et c'est donc le cœur plein d'espoir que je demandai audition du prisonnier, qui venait tout juste d'effectuer la moitié de sa peine2. Après avoir obtenu l'agrément des autorités compétentes, j'obtins la permission de m'entretenir avec le délinquant à qui je demandai prestement de me renifler, encore imprégné de l'odeur de la disparue que j'étais.
« Nom de nom ! », s'exclama le rongeur humanoïde. « Mais c'est Thyffannÿes Kringlüskinovitzkov ! ». Pour ceux qui ne connaissent pas cette personne, il s'agit de l'épouse de Carl Bidon, celui-là même qui s'était illustré pendant l'effroyable guerre du fromage, du 15 janvier 2002 au 17 janvier 2002, en remplissant la lourde fonction de maire de Saint-Ronald des Monts.
Il fut destitué au lendemain de la guerre. Cependant, il a laissé un souvenir impérissable à notre belle ville, érigeant une statue à son effigie dans le parc Judith Poisson, face à l'hôtel de ville. Ce monument qui fait désormais la fierté de Saint-Ronald des Mont est le point culminant de la ville, car haut de plus de cent cinquante mètres !
Mais je m'égare, et pour en revenir à ma palpitante enquête, je savais à présent que cette femme était louche, et qu'il me fallait l'interroger au plus vite, aussi décidais-je de me rendre à son « domicile ». Mais quel était finalement son domicile ?
Habitait-elle chez Charly ou chez Carl ? Pourquoi ce nom d'emprunt ?
J'arrivai chez la belle femme quelques heures après mon séjour en prison, et celle-ci se trouvait effectivement être à son domicile, en compagnie de son époux, Carl. Icelle était afférée à tistre quelque bahutte turinois qui, une fois tissu, serait du plus bon goût sur son mari. Il faut préciser que Thyffannÿes soulait coudre, mais aujourd'hui, avec la justice, elle devrait découdre !
À peine arrivé lui passais-je les menottes au poignet, à la grande surprise de son concubin qui, passablement enclin à la violence, me décrocha derechef un uppercut, qu'il prononçait volontiers, fidèle aux origines des mots qu'il était, à l'anglo-saxonne (you perkeute). Cependant, sa prononciation ne fit que peu de différence pour ma mâchoire, méchamment fracturée.
Nonobstant cette confrontation mal avisée, je pus placer la jeune fille en garde à vue, et ainsi l'interroger sur son emploi du temps des derniers mois.
Je vous passe volontiers les détails concernant les longues heures que dura l'interrogatoire, et vous communique sans plus attendre les conclusions auxquelles je suis arrivé : il s'avéra que la jeune marocaine était victime d'une forme de ce que l'on appelle communément « la schizophrénie » !
Oui, elle vivait tantôt une double vie, s'appelant dans un cas Thyffannÿes Kringlüskinovitzkov, épouse Bidon, et dans l'autre Karine Ferreira, épouse du Houpet.
Et c'est sur les conseils de son psychiatre, préféré rester anonyme, qu'elle décida de mettre fin à l'une de ses vies, au détriment du regretté Charly. La jeune femme passera le restant de ses jours en prison, et désormais, seules ses lunettes seront à double foyer.
1 Rappelons à nos chers lecteurs que Gérard-Simon ne sait ni lire ni écrire.
2 Notons toutefois qu'il avait été condamné à perpétuité.
2 Notons toutefois qu'il avait été condamné à perpétuité.
Le 20 septembre 2007