Elle
Erwan Bracchi
Je m'suis réveillé, un matin, après une cuite monumentale, et elle était là, à mes côtés. D'abord, je l'ai regardée, sans trop savoir pourquoi, puis j'ai vu qu'elle me retournait mon regard. Alors je lui ai dit bonjour, et elle a souri. J'avais un mal de crâne pas possible, et j'étais vraiment pas en état de draguer qui que ce soit, d'autant que je devais empester l'alcool à dix mètres et que je devais avoir une gueule de mort comme on en fait peu, mais apparemment, ça la dérangeait pas, alors je lui ai souri, moi aussi, et je me suis excusé pour l'odeur. Elle m'a dit que c'était pas grave, qu'on était dans le métro et que j'étais ni le seul, ni le pire. Et c'était vrai, on était bien dans le métro, et je sais pas trop comment je m'étais retrouvé là, sur une place dégueulasse, face à un vieux type dont la peau était tellement ridée qu'on aurait dit mes roubignoles ; autant le dire, il avait une tête de bite, comme on dit. Mais bon, j'étais mal placé pour critiquer, avec mon haleine pestilentielle et mon odeur de transpiration mêlée de vagues relents de whisky. Enfin, pas si mal placé que ça, après tout, assis comme j'étais à côté d'elle. Elle parlait pas beaucoup, mais quand le métro s'est arrêté et que le vieux s'est barré, elle s'est mise à causer un peu. Elle m'a dit qu'on se connaissait pas, mais que ça viendrait, qu'on avait tout notre temps, maintenant, elle m'a dit. Au début, j'ai pas compris, mais maintenant que j'y repense, ça me fait rire. Sur la vitre au fond du wagon, y'avait nos reflets, comme deux ombres dans le tunnel, qui n'arrêtait pas de s'éloigner. C'est là que je me suis rendu compte que j'étais trempé jusqu'aux os. Je savais pas comment c'était arrivé, mais j'avais plus un poil de sec et ça dégoulinait de partout. Là, elle s'est mise à pleurer, et c'était bizarre, parce qu'on aurait dit que plus elle pleurait, plus la flaque qu'il y avait à mes pieds grandissait, comme si c'étaient ses larmes à elle. Je voulais la consoler, mais je sais pas pourquoi, je pouvais pas, comme si c'était moi qui étais en train de pleurer, et c'est là qu'elle m'a regardé bizarrement, avec ses yeux vides, et c'est moi que j'ai vu, je me suis vu en train de me noyer, complètement bourré, dans l'Hade. Ca fait bizarre, de se voir crever, mais on y passe tous, alors faut s'y faire, c'est comme ça. La vie, c'est curieux, un jour on déambule dans les rues de Domuse, et le lendemain, on est dans un métro, mort. Elle était belle, mine de rien.
Le 7 juillet 2007