Forrest Gump
Forrest Gump est l'un de ces films qui, malgré les années, conserve une place bien particulière dans l'imaginaire collectif. Réalisé par Robert Zemeckis en 1994 et porté par un Tom Hanks au sommet de son art, il raconte l'histoire improbable d'un homme à l'intelligence limitée, mais à l'existence extraordinaire. Adapté du roman de Winston Groom, le film est devenu un monument du cinéma américain, oscillant entre la fresque historique et la fable moderne.L'histoire est celle de Forrest, un garçon né avec un Qİ de 65 et des problèmes de motricité. Sa mère, incarnée par Sally Field, refuse que son fils soit réduit à ces handicaps et lui inculque une vision du monde empreinte de simplicité et d'optimisme. De fil en aiguille, Forrest va traverser l'histoire des États-Unis, du football universitaire à la guerre du Vietnam, en passant par la diplomatie du ping-pong et la création d'une entreprise prospère. İl deviendra malgré lui une icône, sans jamais chercher à l'être, simplement en suivant ses envies et les hasards de la vie. Au centre de tout cela, son amour inébranlable pour Jenny (Robin Wright), une femme à la trajectoire opposée à la sienne.
Si le film a été souvent résumé comme le parcours naïf d'un idiot chanceux revisitant l'Histoire, cette lecture est bien réductrice. Forrest n'est pas un imbécile : il est un homme sans désir mimétique, imperméable aux tensions humaines les plus destructrices. Là où le monde est obsédé par la rivalité, l'envie ou la peur de l'échec, lui se contente de faire. İl court parce qu'il en a envie, joue au ping-pong sans adversaire, devient soldat parce qu'on lui dit de l'être. C'est un protagoniste qui échappe à toute forme de cynisme et qui, dans sa simplicité, reflète paradoxalement la complexité de l'âme humaine.
Le contraste entre Forrest et les personnages qui l'entourent est frappant. Jenny, victime d'un père violent, passe sa vie à se chercher et à fuir. Le lieutenant Dan, marqué par le poids d'un destin qu'il croyait tracé, sombre dans l'amertume avant de trouver un sens nouveau à son existence. Ces figures, bien plus humaines dans leurs failles, offrent un contrepoint puissant à l'apparente insouciance de Forrest. Là où Jenny et Dan subissent le monde, Forrest y évolue avec une légèreté désarmante.
La mise en scène de Robert Zemeckis sublime ce récit en le parant d'une fluidité narrative exemplaire. Le film alterne habilement entre moments de comédie et instants profondément émouvants, tout en s'amusant à insérer son héros dans des images d'archives où il serre la main de Kennedy ou provoque l'affaire du Watergate sans le vouloir. L'intégration de ces séquences numériques, impressionnantes pour l'époque, renforce cette idée que Forrest se trouve toujours là où il ne devrait pas être, témoin muet et pourtant central de l'histoire américaine.
La bande-son, enchaînant les classiques du rock et de la pop des années 60 et 70, joue un rôle fondamental dans l'immersion. De Bob Dylan aux Doors en passant par Lynyrd Skynyrd, chaque morceau accompagne l'évolution du récit avec une pertinence rare. Et que dire de la partition d'Alan Silvestri, dont les notes mélancoliques viennent souligner les moments de grâce et de tristesse sans jamais verser dans le pathos forcé ?
Bien sûr, un tel film ne fonctionnerait pas sans une performance magistrale de son acteur principal. Tom Hanks, Oscar à la clef, offre une prestation nuancée, évitant soigneusement le piège de la caricature. Forrest Gump aurait pu être un personnage grotesque ou surfait ; il devient sous les traits d'Hanks un être profondément attachant, crédible dans ses failles et ses forces. Autour de lui, Robin Wright et Gary Sinise livrent des performances tout aussi marquantes, notamment ce dernier, bouleversant dans son rôle d'officier brisé par la guerre.
On pourrait reprocher au film son côté trop lisse, son refus de s'engager politiquement, sa vision idéalisée de l'Amérique. İl est vrai que l'œuvre ne s'attarde pas sur les implications les plus sombres de son époque, préférant le prisme d'un regard innocent sur des événements pourtant tragiques. Mais c'est précisément ce qui fait sa force : Forrest Gump n'est pas une relecture critique de l'Histoire, c'est un voyage sensoriel dans une Amérique fantasmée, celle où la bonté et la persévérance finissent toujours par triompher.
Véritable fresque romanesque, Forrest Gump est un film d'une simplicité trompeuse, porteur d'une tendresse et d'une humanité rares. Il touche par sa sincérité, amuse par ses détours absurdes et émeut par sa justesse. Une boîte de chocolats dont on connaît désormais bien le goût, mais dont on ne se lasse jamais.
Ma note
81%
Lire la critique sur le site d'Antoine Lepage