• Julien   Lepage

L'imaginaire de Yoshiyuki Momose, sorti en 2023, marque le retour d'un réalisateur qu'on attendait au tournant. Après l'accident industriel de Ni no kuni, l'anticipation était forte pour ce nouveau long métrage, surtout avec sa présentation en compétition officielle au festival d'Annecy 2024. Le film s’inscrit dans la continuité des thèmes abordés dans ses précédents travaux, notamment Life isn't gonna lose, court-métrage remarqué du projet Modest heroes. Le retour à une histoire plus intime, centrée sur les enfants et les amis imaginaires, laissait espérer un film plus personnel, peut-être une rédemption artistique après la déception de son précédent long-métrage. Les premières images laissaient présager une œuvre délicate, portée par l’imaginaire enfantin, même si le fait qu’il soit produit par Netflix soulevait la crainte d’un calibrage un peu trop lisse.

L’histoire suit Amanda, une petite fille de dix ans, et son ami imaginaire Rudger. Ensemble, ils vivent des aventures à travers l’imagination débordante de la jeune fille. Mais le monde des amis imaginaires n’est pas aussi éternel qu’il y paraît : une fois oubliés par leurs créateurs, ils disparaissent. Quand Rudger se retrouve soudain seul, il plonge dans la Ville des Créatures Imaginaires. Là-bas, il découvre ses origines et doit faire face à un danger mystérieux tout en tentant de retrouver Amanda avant qu’elle ne l'oublie définitivement. Ce voyage initiatique nous emporte dans un univers onirique, peuplé de créatures étranges, où se mêlent tendresse et effroi.

Le scénario se présente comme une sorte de voyage entre le monde réel et l’imaginaire, un thème classique mais traité avec sincérité et sensibilité. Le film prend néanmoins son temps, parfois un peu trop, surtout dans son deuxième acte, qui s'enlise dans la découverte du monde des amis imaginaires. La guilde des amis imaginaires est introduite avec des concepts intrigants mais qui ne sont jamais vraiment explorés en profondeur, laissant le spectateur avec des questions non résolues. Par moments, on a l'impression que le film se complaît dans l’exposition d’idées sans toujours réussir à les intégrer harmonieusement dans le récit. Ce qui commence comme une idée brillante — la possibilité pour les amis imaginaires de changer d'identité et de « propriétaire » — semble finalement en contradiction avec certaines règles établies plus tôt dans l’histoire. Cette incohérence narrative devient frustrante, surtout lors du climax. Si l'émotion est indéniablement au rendez-vous, la logique des événements laisse parfois à désirer.

Les personnages sont un autre point central du film. Amanda est attachante, même si son évolution reste assez classique pour ce type de récit : elle doit apprendre à grandir, à dire adieu à une partie d'elle-même en faisant face à la réalité. Rudger, son ami imaginaire, incarne cette transition difficile, ce passage douloureux vers l’âge adulte. La dynamique entre ces deux personnages est touchante, mais on sent que certains personnages secondaires auraient mérité plus d'attention, notamment du côté des créatures imaginaires. Là encore, on retrouve cette impression de survol, comme si le film peinait à exploiter tout son potentiel.

Les thèmes abordés sont pourtant intéressants et traités avec une certaine délicatesse. Le deuil, la fin de l’enfance, la lutte contre l’oubli : des sujets universels qui résonnent particulièrement bien dans le contexte du film. L’antagoniste, une figure inquiétante qui « se nourrit des sentiments des enfants », s’impose comme une menace omniprésente. La façon dont il dévore littéralement les amis imaginaires, avec une première scène de dégustation particulièrement dérangeante, laisse peu de doute quant à sa symbolique : il représente ce refus de grandir, cet attachement malsain à l’innocence des plus jeunes. Cependant, on peut reprocher à ce personnage d’être plus une allégorie qu’un véritable protagoniste avec une profondeur psychologique.

Visuellement, le film est un bijou de propreté et de douceur, mais cela peut aussi devenir un frein à l’immersion. L’animation, bien que magnifique, manque de contrastes, de ces variations visuelles qui permettent de faire naître une véritable poésie de l’image. Les couleurs pastel sont omniprésentes, les contours sont nets, uniformes, presque trop lisses. Cela crée une certaine distance, un manque de profondeur qui empêche parfois l’émotion d’éclater pleinement à l’écran. On est loin des variations visuelles et narratives d’un Hayao Miyazaki — auquel le film semble parfois vouloir se référer. Le seul personnage qui se détache visuellement est l’antagoniste, avec ses traits menaçants et sa présence malaisante. Mais cela reste trop ponctuel pour compenser l’aspect un peu sage du reste de l’animation.

Les performances vocales sont d'une justesse impeccable, avec Kokoro Terada et Rio Suzuki qui apportent une belle fraîcheur à Amanda et Rudger. Mention spéciale à Takayuki Yamada, qui prête sa voix à l’antagoniste avec une intensité glaçante, apportant une dimension presque viscérale à son personnage. Le casting est solide, mais il manque ce petit supplément d’âme qui pourrait vraiment ancrer les personnages dans notre mémoire longtemps après le visionnage.

Au final, L'imaginaire est un film poétique, émouvant, mais qui souffre d’une certaine timidité dans sa réalisation. Le talent de Yoshiyuki Momose est indéniable : il sait raconter des histoires touchantes et sait faire vibrer la corde sensible du spectateur. Mais on attendait peut-être plus de folie, plus de singularité dans sa mise en scène, surtout après un projet aussi ambitieux que Ni no kuni. Ce film, malgré ses qualités, reste un peu trop sage, un peu trop propre pour vraiment laisser une empreinte durable. On espère que Momose trouvera, dans ses prochains projets, la confiance nécessaire pour s’affranchir des conventions et nous offrir une œuvre plus audacieuse.

Note : 7 / 10