Je ne me laisserai plus faire
Quand Gustave Kervern, moitié du duo derrière des films tels que Louise-Michel ou Mammuth, s’aventure pour la première fois en solo, cela suscite une curiosité teintée d’appréhension. Avec Je ne me laisserai plus faire, il livre une comédie dramatique diffusée sur Arte, portée par un casting éclectique, de Yolande Moreau à Jonathan Cohen, en passant par Laure Calamy. Ce téléfilm, au croisement entre la satire sociale et le road-movie initiatique, promettait une immersion dans l’univers grinçant de Kervern, mais sans son éternel complice, Benoît Delépine. Était-il à la hauteur des attentes ? Pas tout à fait.
L’intrigue suit Émilie, une septuagénaire échappée de son EHPAD, qui décide de régler ses comptes avec les oppresseurs de sa vie passée. Entre un ancien harceleur scolaire, un patron abusif et des propriétaires véreux, sa croisade vengeresse prend des allures de règlement de comptes jubilatoire. Rejointe par Lynda, une femme de ménage en quête de justice personnelle, le duo improbable sillonne la région de Lens, poursuivi par un binôme de policiers tout aussi cabossés par la vie. Entre confrontations absurdes et moments de complicité, le film jongle entre humour et gravité, explorant les blessures laissées par les petites humiliations du quotidien.
Le scénario repose sur une prémisse forte, celle de donner une voix à ceux que la société a écrasés, mais l’exécution oscille entre la caricature et la sincérité. Si certaines situations touchent juste, notamment lorsque le rire se fige pour laisser place à l’émotion, d’autres tombent à plat à cause d’un manque de subtilité. Les personnages secondaires, bien que colorés, ne sont parfois que des stéréotypes ambulants, servant plus la mécanique comique que la profondeur narrative. Cela n’empêche pas quelques fulgurances, comme ces dialogues mordants qui rappellent les grandes heures de l’humour absurde à la Groland.
Au centre du récit, Émilie et Lynda incarnent des figures de rébellion, mais leur dynamique aurait gagné à être plus fouillée. Émilie, interprétée par Yolande Moreau, oscille entre la fragilité et la force, mais semble parfois manquer d’énergie. Si cela sert son personnage, on ne peut s’empêcher de penser qu’une actrice plus accessible ou attachante aurait donné une autre dimension au rôle. Pourquoi pas une Andréa Ferréol ou une Hélène Vincent, capables d’ajouter une pointe de malice ? À ses côtés, Lynda, jouée par Laure Calamy, apporte une fraîcheur bienvenue, bien que son parcours personnel paraisse parfois survolé.
Le film s’attaque à des thèmes universels : le poids des traumatismes, la justice sociale et la révolte contre l’injustice ordinaire. Cependant, le propos, bien qu’humaniste, pèche par un manichéisme appuyé. Les antagonistes sont présentés comme des archétypes sans nuance, et le message, aussi légitime soit-il, perd parfois de son impact à force d’insister lourdement. Cette dichotomie entre oppresseurs et opprimés, même si elle amuse, manque de finesse, surtout quand on compare ce film aux œuvres plus incisives du duo Kervern-Delépine.
Sur le plan de la réalisation, Kervern reste fidèle à son style : une mise en scène minimaliste qui parie sur le naturel des décors et des dialogues. La photographie d'Hugues Poulain capte avec poésie les paysages désolés du Nord, renforçant l’atmosphère mélancolique du film. Cependant, certains choix de rythme laissent perplexe, notamment dans des scènes étirées qui cassent la dynamique comique. La bande-son, discrète mais efficace, accompagne bien l’évolution des personnages.
Le casting, globalement solide, s’amuse visiblement à jouer dans cet univers décalé. Jonathan Cohen, en beauf au QI approximatif, livre des moments hilarants, même si son rôle reste limité à des gags de situation. Alison Wheeler, en directrice d’EHPAD cynique, divise : si son ton décalé amuse, elle manque parfois de crédibilité. La vraie surprise vient de Raphaël Quenard, dont la prestation entre comédie et drame apporte une profondeur inattendue à un rôle qui aurait pu être anecdotique.
En définitive, Je ne me laisserai plus faire est une œuvre imparfaite mais sincère, qui rappelle pourquoi le cinéma de Kervern, même en solo, reste pertinent. Bien qu’il n’atteigne pas les sommets de Louise-Michel ou Mammuth, le film parvient à mêler humour et émotion dans une fresque sociale qui, malgré ses maladresses, touche par moments au cœur. Si vous avez apprécié les précédents films du réalisateur, cette escapade télévisuelle vaut le détour. Pour les autres, mieux vaut commencer par ses collaborations avec Delépine.
Note : 7 / 10
L’intrigue suit Émilie, une septuagénaire échappée de son EHPAD, qui décide de régler ses comptes avec les oppresseurs de sa vie passée. Entre un ancien harceleur scolaire, un patron abusif et des propriétaires véreux, sa croisade vengeresse prend des allures de règlement de comptes jubilatoire. Rejointe par Lynda, une femme de ménage en quête de justice personnelle, le duo improbable sillonne la région de Lens, poursuivi par un binôme de policiers tout aussi cabossés par la vie. Entre confrontations absurdes et moments de complicité, le film jongle entre humour et gravité, explorant les blessures laissées par les petites humiliations du quotidien.
Le scénario repose sur une prémisse forte, celle de donner une voix à ceux que la société a écrasés, mais l’exécution oscille entre la caricature et la sincérité. Si certaines situations touchent juste, notamment lorsque le rire se fige pour laisser place à l’émotion, d’autres tombent à plat à cause d’un manque de subtilité. Les personnages secondaires, bien que colorés, ne sont parfois que des stéréotypes ambulants, servant plus la mécanique comique que la profondeur narrative. Cela n’empêche pas quelques fulgurances, comme ces dialogues mordants qui rappellent les grandes heures de l’humour absurde à la Groland.
Au centre du récit, Émilie et Lynda incarnent des figures de rébellion, mais leur dynamique aurait gagné à être plus fouillée. Émilie, interprétée par Yolande Moreau, oscille entre la fragilité et la force, mais semble parfois manquer d’énergie. Si cela sert son personnage, on ne peut s’empêcher de penser qu’une actrice plus accessible ou attachante aurait donné une autre dimension au rôle. Pourquoi pas une Andréa Ferréol ou une Hélène Vincent, capables d’ajouter une pointe de malice ? À ses côtés, Lynda, jouée par Laure Calamy, apporte une fraîcheur bienvenue, bien que son parcours personnel paraisse parfois survolé.
Le film s’attaque à des thèmes universels : le poids des traumatismes, la justice sociale et la révolte contre l’injustice ordinaire. Cependant, le propos, bien qu’humaniste, pèche par un manichéisme appuyé. Les antagonistes sont présentés comme des archétypes sans nuance, et le message, aussi légitime soit-il, perd parfois de son impact à force d’insister lourdement. Cette dichotomie entre oppresseurs et opprimés, même si elle amuse, manque de finesse, surtout quand on compare ce film aux œuvres plus incisives du duo Kervern-Delépine.
Sur le plan de la réalisation, Kervern reste fidèle à son style : une mise en scène minimaliste qui parie sur le naturel des décors et des dialogues. La photographie d'Hugues Poulain capte avec poésie les paysages désolés du Nord, renforçant l’atmosphère mélancolique du film. Cependant, certains choix de rythme laissent perplexe, notamment dans des scènes étirées qui cassent la dynamique comique. La bande-son, discrète mais efficace, accompagne bien l’évolution des personnages.
Le casting, globalement solide, s’amuse visiblement à jouer dans cet univers décalé. Jonathan Cohen, en beauf au QI approximatif, livre des moments hilarants, même si son rôle reste limité à des gags de situation. Alison Wheeler, en directrice d’EHPAD cynique, divise : si son ton décalé amuse, elle manque parfois de crédibilité. La vraie surprise vient de Raphaël Quenard, dont la prestation entre comédie et drame apporte une profondeur inattendue à un rôle qui aurait pu être anecdotique.
En définitive, Je ne me laisserai plus faire est une œuvre imparfaite mais sincère, qui rappelle pourquoi le cinéma de Kervern, même en solo, reste pertinent. Bien qu’il n’atteigne pas les sommets de Louise-Michel ou Mammuth, le film parvient à mêler humour et émotion dans une fresque sociale qui, malgré ses maladresses, touche par moments au cœur. Si vous avez apprécié les précédents films du réalisateur, cette escapade télévisuelle vaut le détour. Pour les autres, mieux vaut commencer par ses collaborations avec Delépine.
Note : 7 / 10
Vu le 10 décembre 2024