Misanthrope marque les retrouvailles très attendues du réalisateur argentin Damián Szifron avec le thriller policier, neuf ans après son film à sketchs percutant Les nouveaux sauvages. Porté par Shailene Woodley et Ben Mendelsohn, ce long-métrage ambitieux déploie d'emblée ses atouts avec une ouverture à couper le souffle : une tuerie de masse perpétrée lors d'un feu d'artifice de la Saint-Sylvestre à Baltimore. Une séquence d'une rare violence qui donne le ton.

Szifron n'a pas chômé pour donner vie à ce projet qui lui tenait à cœur. Le tournage s'est déroulé durant l'hiver rigoureux de Toronto, ce qui a permis de capturer des images d'une atmosphère glaciale, en phase avec le mal-être profond qui ronge les protagonistes. L'intrigue suit Eleanor, une jeune recrutée du FBI au lourd passé, lancée sur les traces de l'insaisissable tueur aux côtés de l'agent Geoffrey Lammark. Un duo d'enquêteurs cabossés par la vie qu'interprètent de manière convaincante Woodley et Mendelsohn.

Si Misanthrope exploite certains ressorts familiers des thrillers policiers, notamment la traque haletante et les rapports de force bureaucratiques, le scénario co-écrit par Szifron évite heureusement la plupart des poncifs éculés du genre. Le film installe d'entrée de jeu une ambiance angoissante et poisseuse grâce à sa mise en scène nerveuse et ses cadrages soignés.

Bien que les rebondissements de l'enquête soient parfois conventionnels, le long-métrage se rattrape par son discours riche et mordant sur les maux de la société américaine contemporaine. Szifron multiplie les métaphores crues, des monceaux d'ordures aux abattoirs dégoulinants, pour mieux nous confronter au mal-être et au désespoir de son anti-héros. Un constat désabusé, certes, mais qui trouve une résonance émotionnelle poignante grâce aux personnages torturés d'Eleanor, de Geoffrey, et évidemment du tueur que l'on apprend à connaître dans la dernière partie du film.

La première, brillante mais ravagée par les tragédies, est incarnée avec une sincérité désarmante par Woodley. Loin des rôles lissés qui ont jalonné sa carrière, l'actrice campe ici une jeune femme écorchée vive, sa composition faisant mouche. En contrepoint, Mendelsohn poursuit sa galerie de personnages cabossés par la vie en prêtant ses traits à l'agent vétéran, blasé par les manigances politiques environnant l'affaire. Les deux forment un attelage de justiciers désabusés d'une grande justesse.

On regrettera en revanche que le tueur de masse, bien que porteur d'un message pertinent sur les dérives d'un rêve américain matérialiste et nihiliste, soit un tantinet sous-développé. Hormis quelques scènes marquantes, le criminel peine à vraiment exister au-delà de sa simple fonction de métaphore. Une frustration qui n'enlève cependant rien à la puissance d'ensemble de Misanthrope.

Ce thriller, malgré quelques faiblesses scénaristiques, marque les esprits par sa vision désenchantée, corrosive mais indéniablement talentueuse.

Note : 7 / 10