Pile et face
Il y a quelque chose de frustrant avec Pile et face, ce film qui joue avec les hasards du quotidien et la théorie du « et si… » en construisant une double narration. Réalisé par Peter Howitt en 1998, avec Gwyneth Paltrow en vedette, c'est un film qui aurait pu être une excellente exploration du destin et des choix de vie, mais qui finit par s'enliser dans un académisme un peu terne. Ce n'est pas désagréable à regarder, mais le concept fort du départ ne tient pas sur la longueur, et l'ensemble prend vite un coup de vieux.L'idée de départ est pourtant maligne : Helen, jeune femme londonienne, vient de se faire licencier et tente de rentrer chez elle en métro. À cet instant, son destin se scinde en deux réalités parallèles. Dans l'une, elle parvient à monter dans la rame et surprend son compagnon en pleine infidélité. Dans l'autre, elle rate son métro, prend du retard et continue à vivre dans l'illusion d'une relation fidèle. À partir de là, on suit en parallèle ces deux vies divergentes, qui se développent avec quelques variations romantiques et tragiques. Une manière d'interroger l'importance des hasards du quotidien et de se demander si une infime différence de timing peut réellement tout changer.
Le problème, c'est que cette belle idée de départ finit par se diluer dans une trame finalement très conventionnelle. Là où le film aurait pu aller vers quelque chose de plus audacieux, il choisit plutôt de retomber sur les rails de la comédie romantique prévisible. Le côté « effet papillon » du scénario n'est exploité qu'à moitié, et les enjeux sont finalement plus centrés sur les histoires de cœur de Helen que sur une vraie réflexion sur le destin. À mesure que les deux intrigues avancent, elles deviennent de plus en plus téléphonées, et on devine très vite comment tout cela va se conclure. Le hasard de Krzysztof Kieślowski, qui explorait un principe similaire, avait su donner à son récit une dimension tragique et politique bien plus marquante. İci, tout reste dans un cadre sage et inoffensif.
Côté personnages, Helen est une héroïne attachante, surtout dans sa version où elle reprend le contrôle de sa vie après avoir découvert la trahison de son compagnon. Mais son double, celui qui reste avec Gerry par ignorance, est nettement plus fade. Gerry, quant à lui, est une caricature de petit ami médiocre, un écrivain raté qui trompe sa copine tout en lui faisant croire qu'il tient à elle. Difficile de ne pas le trouver insupportable. L'élément vraiment rafraîchissant du film, c'est James, joué par John Hannah. Son humour, son énergie et ses références aux Monty Python le rendent immédiatement sympathique et crédible en alternative amoureuse pour Helen. İl y a une vraie alchimie entre lui et Paltrow, ce qui sauve en partie le film.
Le thème du destin et des choix de vie est évidemment central, mais il est abordé de façon trop superficielle. Plutôt que de questionner en profondeur la notion de libre arbitre ou les conséquences d'un simple moment de retard, le film se contente d'en faire le prétexte à une romance un peu convenue. Le parallèle entre les deux réalités est parfois bien géré, mais à d'autres moments, il est maladroit et donne l'impression de surligner inutilement ses propres effets narratifs. On est loin de la virtuosité d'Un jour sans fin, qui jouait sur la répétition et le temps pour construire une véritable réflexion existentielle.
Visuellement, la réalisation est correcte mais sans éclat. Peter Howitt signe un premier film propre mais sans réelle identité stylistique. La mise en scène est fonctionnelle, la photographie est sobre, et on sent bien que le budget ne permettait pas de grandes envolées visuelles. Le montage joue bien sur l'alternance entre les deux réalités, même si certaines transitions manquent de finesse. La bande-son, typique de la fin des années 90, accompagne l'histoire sans vraiment la sublimer. On retient surtout le thème principal, mais rien qui marque durablement.
Les performances d'acteurs sont ce qui fonctionne le mieux ici. Gwyneth Paltrow, encore loin de son Oscar, livre une prestation convaincante, même si elle n'a pas encore tout à fait le charisme qu'on lui connaîtra par la suite. John Hannah est l'une des vraies réussites du film : il apporte une fraîcheur et un charme indéniables à son personnage, rendant ses scènes toujours agréables à suivre. En revanche, John Lynch, dans le rôle de Gerry, est un peu trop caricatural dans sa lâcheté, ce qui le rend plus agaçant qu'intéressant. Jeanne Tripplehorn, qui joue la maîtresse de Gerry, est correcte sans être particulièrement marquante.
Au final, Pile et face est un film qui part d'une bonne idée, mais qui ne la pousse pas assez loin pour en faire une œuvre mémorable. L'alternance des deux réalités est intrigante au début, mais le film finit par devenir une romance assez classique, sans prise de risque. İl y a du charme, surtout grâce à John Hannah, mais aussi une impression de déjà-vu et de gâchis partiel d'un concept qui aurait mérité mieux. À voir pour les amateurs de comédies romantiques nostalgiques des années 90, mais sans en attendre une réflexion marquante sur le destin.
Ma note
44%