Julien   Lepage

J.  Lepage
Une femme du monde
Cécile Ducrocq
2020

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Une femme du mondeUne femme du monde, réalisé par Cécile Ducrocq, s’inscrit dans une veine de cinéma social à la française, où le réalisme côtoie l’intime. En portant à l’écran Laure Calamy dans un rôle de travailleuse du sexe, le film promettait un regard différent sur une profession souvent caricaturée, mais aussi sur la lutte d’une mère prête à tout pour l’avenir de son fils. Le cadre singulier de Strasbourg et des excursions en Allemagne ajoute une touche de fraîcheur géographique, tout en restant ancré dans une réalité universelle.

L’histoire s’ouvre sur Marie, prostituée indépendante et mère célibataire, qui arpente depuis vingt ans les rues et les bordels de Strasbourg. Son quotidien se voit bouleversé lorsque son fils Adrien, un adolescent rebelle et paresseux, exprime le désir d’intégrer une prestigieuse école de cuisine. Le rêve d’Adrien implique une somme d’argent que Marie ne possède pas, et son combat pour réunir la somme devient l’axe central du récit. Entre rencontres clientèles, conflits familiaux, et une société qui ne lui fait aucun cadeau, Marie jongle avec les humiliations et les sacrifices, toujours avec une dignité indéfectible.

Le scénario, bien que solide dans sa structure, se heurte parfois à une certaine timidité. La relation mère-fils est bien esquissée, notamment grâce à des scènes marquantes où les tensions explosent, mais elle reste en surface. La séquence où Adrien refuse de travailler avec l’ami avocat de Marie, un homme travesti, est un exemple poignant : ce moment, où la violence verbale fait place à un dialogue plus apaisé, révèle une dynamique complexe entre ces trois personnages. Cependant, ces instants de grâce sont dilués dans un déroulé parfois trop programmatique. La quête d’argent de Marie devient une mécanique répétitive, et le milieu de la prostitution, un simple décor, alors qu’il aurait pu offrir une exploration plus poussée.

Les personnages, eux, sont au cœur de la réussite du film. Marie est une femme pleine de contradictions, forte et vulnérable à la fois, ancrée dans une réalité où elle doit composer avec les jugements et les désillusions. Adrien, adolescent difficile mais attachant, traverse une transformation crédible, passant du rôle d’un « petit merdeux » à celui d’un jeune homme en quête de rédemption. Les personnages secondaires, bien que moins développés, apportent des nuances intéressantes, comme le client régulier ou l’avocat ami de Marie.

Sur le plan thématique, le film s’attache à démonter les clichés sur les travailleuses du sexe. Il met en avant leur quotidien, ni édulcoré, ni sordide, mais marqué par une lutte constante pour conserver une forme de liberté et de dignité. Le film aborde également des problématiques sociales plus larges, comme la stigmatisation des professions précaires et le poids du regard d’autrui. Pourtant, ces thèmes auraient mérité un traitement plus approfondi. Par exemple, la fatigue physique et mentale de Marie est davantage suggérée que montrée, les scènes de passes restant à la limite du hors-champ. Une telle retenue prive parfois le film de l’intensité émotionnelle qu’il semblait promettre.

La réalisation, bien que classique, reste efficace. Cécile Ducrocq opte pour une lumière naturelle et parfois crue, en contraste avec les néons agressifs des bordels et la douce lumière du foyer familial. La mise en scène, sans fioritures, sert avant tout le jeu des acteurs, en particulier celui de Laure Calamy. Le choix de filmer des lieux comme un parking ou la salle de repos des prostituées donne une dimension presque documentaire à certaines scènes, ancrant le film dans un réalisme terre à terre.

Côté interprétation, Laure Calamy porte le film avec une justesse bouleversante. Elle insuffle à Marie une humanité palpable, oscillant entre force et épuisement, dans une prestation qui rappelle les grandes héroïnes du cinéma social. Nissim Renard, dans le rôle d’Adrien, est tout aussi convaincant. Il réussit à incarner l’adolescent insupportable sans tomber dans la caricature, avant de dévoiler une facette plus touchante dans la seconde moitié du film. Les seconds rôles, notamment Romain Brau, apportent une certaine chaleur et contribuent à l’équilibre narratif.

En définitive, Une femme du monde est une œuvre portée par des performances remarquables, mais qui manque parfois d’audace dans son traitement. Si le film touche par sa sincérité et sa volonté de donner une voix à une catégorie souvent marginalisée, il aurait gagné à explorer davantage les zones d’ombre de ses personnages et de leur réalité. Une production honnête et touchante, qui laisse malgré tout le sentiment qu’elle aurait pu aller plus loin, à l’image de Marie, toujours en quête d’un ailleurs meilleur.

Note : 7 / 10

Vu le 28 novembre 2024

Liste des comédiensLaure CalamyNissim RenardBéatrice FacquerRomain BrauMaxence TualSam LouwyckDiana KorudzhiyskaAmlan LarcherValentina PapicMelissa GuersLeonarda GuinzburgKim HumbrechtSarah OuazanaMahir Fekih-SlimaneCorneliu DragomirescuIonut MitrofanMarie SchoenbockClara-Cécile MulotRomain GillotDamien ZobirEnzo FoïsYolande BesombesDaniel GoscheschekPhilippe KoaEva AntoliniJoël VillyYannick HorneckerAdeline BoudaoudAndrée AmalekeDia NgannoRamata BaJessi DavkaMartine KouassiVirginia BénardDenis Simonetta