Julien   Lepage

J.  Lepage
Une famille
Christine Angot
2023

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Une familleUne famille, réalisé par Christine Angot, s’annonce comme une exploration intime et brutale de l’inceste et de ses séquelles au sein du cercle familial. Cette première réalisation de l’écrivaine, connue pour son œuvre controversée et sa plume percutante, fait écho à son roman autobiographique Le voyage dans l’Est. Sur le papier, le projet promettait un regard sans concession sur la dynamique destructrice du silence et de la complicité implicite, porté par une démarche personnelle. Pourtant, cette ambition se heurte à des choix qui divisent et frustrent.

L’intrigue repose sur un dispositif simple, mais chargé émotionnellement. Armée d’une caméra, Angot retourne à Strasbourg, où son père a vécu et où se sont déroulés les faits traumatiques qu’elle raconte dans son œuvre. Elle y confronte les membres de sa famille — sa mère, sa belle-mère, d’autres proches — pour sonder leur rôle, leur passivité et leurs éventuels regrets face à l’inceste qu’elle a subi. Ce voyage, qui oscille entre documentaire et thérapie filmée, s’attache autant à ouvrir les plaies qu’à les exposer.

Le scénario, bien que centré sur un sujet puissant, déçoit par sa monotonie. Chaque échange semble construit autour de la culpabilisation, sans nuances ni véritable analyse. Là où l’on aurait pu espérer des dialogues riches, capables de creuser les ambiguïtés des personnages ou de montrer la complexité de la reconstruction, le film se borne à répéter le même mécanisme accusateur. Les confrontations manquent d’impact, comme si l’écrivaine ne savait pas aller au-delà de sa colère pour transformer ces moments en quelque chose de plus universel. Ce défaut de perspective rend l’ensemble austère et répétitif.

Les personnages, eux, restent essentiellement des figurants dans une quête qui semble n’appartenir qu’à Christine Angot. Sa mère et sa belle-mère, qui auraient pu incarner des figures complexes de complice involontaire ou de victime collatérale, ne bénéficient d’aucune profondeur. Elles deviennent des cibles plutôt que des sujets. Quant à Angot elle-même, elle apparaît comme une narratrice dont l’amertume prend le pas sur l’introspection. Cette posture, au lieu d’ajouter à la richesse du film, isole le spectateur, qui peine à ressentir autre chose que du malaise.

Le sujet principal du film — l’inceste et ses répercussions sur le cercle familial — méritait une approche plus fine. Angot aborde la question avec une frontalité déconcertante, mais elle échoue à en tirer une réflexion plus large. L’idée d’explorer le poids du silence collectif est évoquée, mais elle est trop vite noyée dans les reproches personnels. De même, la manière dont le film traite la résilience paraît superficielle, se limitant à quelques échanges avec sa propre fille, qui auraient pu apporter une lumière nouvelle, mais restent anecdotiques.

La réalisation, confiée à Caroline Champetier, parvient à capturer des instants de tension, mais l’ensemble manque de souffle. Les plans sont souvent figés, parfois presqu’intrusifs, sans que cela ne serve véritablement le propos. La photographie est austère, en accord avec le ton du film, mais ne parvient pas à compenser la rigidité du récit. La bande-son, quasi absente, contribue à l’ambiance pesante, mais son absence de variation renforce l’impression de monotonie.

Si les performances des proches interviewés ne peuvent être évaluées dans le cadre d’un documentaire, la place qu’ils occupent semble instrumentalisée. İls sont là pour être accusés ou témoins passifs, jamais vraiment acteurs. Cette asymétrie dans les interactions contribue à rendre l’ensemble déséquilibré.

En définitive, Une famille est un film qui, malgré son sujet poignant, manque de substance et d’équilibre. Le parti pris d’un regard brut et accusateur, bien que compréhensible, bride les potentialités d’un récit qui aurait pu être bien plus universel. Le film ressemble davantage à un exutoire personnel qu’à une œuvre documentaire construite. Ceux qui cherchent des réflexions nuancées sur les dynamiques familiales et la gestion des traumatismes pourraient trouver plus de richesse dans des œuvres comme Grâce à Dieu de François Ozon.

Note : 3 / 10

Vu le 16 janvier 2025

Liste des comédiensChristine AngotThierry ArdissonLaurent BaffieClaude ChastagnerLéonore ChastagnerCharly ClovisLinda HardyRachel SchwartzArnaud ViviantElizabeth Weber