Village fantôme
Erwan Bracchi
Après la disparition mystérieuse d'une dizaine de personnes à Crémieux, c'est au tour du petit village de Mysérieux de faire parler de lui. En effet, depuis quelques temps déjà, selon les témoignages de personnes qui ont récemment traversé la bourgade en voiture, Mysérieux paraît vide, comme déserté par ses habitants, et, une fois n'est pas coutume, votre fidèle chroniqueur a quitté Domuse la magnifique pour s'en aller enquêter sur place, afin d'élucider le mystère, comme je le fis il y a quelque temps déjà, à Crémieux, chez les Legriot.
C'est accompagné par la petite Nadia, cette malheureuse orpheline que j'adoptai à sa sortie de l'hôpital, que j'arrivai le mardi 10 juillet aux premières lueurs de l'aube à Mysérieux, village austère s'il en est, où tout est gris, des murs aux toits, de l'école à l'église, de la terre au ciel, gris de fond en comble. Nous laissâmes ma voiture sur la place du village pour nous rendre à la mairie, qui se trouvait juste derrière. Après avoir frappé un moment à la porte du pitoyable édifice, dont la laideur inénarrable n'avait d'égal que le vide qui y régnait lorsque j'entrai de moi-même, las d'attendre qu'une hypothétique employée m'ouvrît. À l'intérieur, deux pièces, la première encombrée de bureaux, eux-mêmes encombrés de paperasse, et la seconde, sobre, boisée, avec pour seuls meubles une table d'acajou et une chaise du même bois, celle du maire, absent. Nadia me fit remarquer en les pointant de son petit doigt les lunettes de ce dernier, non pas posées sur un document officiel, comme j'eusse pu m'y attendre, mais branches en l'air, reposant sur les verres, comme si elles étaient tombées là, pour être oubliées ensuite. C'était étrange, mais ne disposant pour l'instant de plus amples informations, je décidai de sortir visiter les alentours.
Lorsque Nadia et moi sortîmes, l'atmosphère nous sembla soudainement plus pesante, voire étouffante, probablement en raison de la chaleur estivale. Nous traversâmes tranquillement la place, puis la route, sur laquelle ne circulait aucun véhicule, et arrivâmes au bar, qui vendait également du tabac et des journaux, ainsi que dans beaucoup de villages français, à la différence près que, bien qu'ouvert, le buraliste était, tout comme le maire, absent, bien que tout laissât supposer, dans une pièce où l'air empestait encore la fumée de cigarette et la puanteur des journaux, que l'établissement accueillait encore des clients, à en juger par les verres de bières à demi vides, la monnaie sur le comptoir, la crasse sur le sol ou bien encore un robinet par lequel un filet d'eau s'écoulait tranquillement dans un lavabo que la vaisselle emplissait à ras bord. Je saisis un verre au hasard, sur une table, détachai le dessous auquel il se trouvait fortement collé, l'examinai, trouvai des traces de lèvres sèches et de la poussière flottant dans le liquide brunâtre. Nadia désigna du doigt une laisse qui était attachée à une barre métallique, près des toilettes, mais aucun chien ne se trouvait à l'autre extrémité, bien que le collier fût fermé. Avant de repartir, je tournai le bouton du robinet afin de faire cesser l'inutile écoulement, puis refermai la porte derrière moi avant de retourner la petite pancarte qui y était suspendue et sur laquelle on pouvait lire, malgré l'état lamentable de l'objet, OUVERT.
Nadia et moi allâmes alors visiter le reste du village, longeâmes des rues désertes, vîmes des maisons à l'abandon, la décrépitude d'une bourgade autrefois prospère et qui, avant que ses habitant ne disparussent, avait connue une lente déchéance jusqu'à tomber dans l'oubli général, tandis qu'il n'était plus peuplé alors que de paysans à la retraite, de veuves et de quelques enfants dégénérés issus d'incestes inavouables. Nous arrivâmes en peu de temps à la maison de l'homme le plus fortuné du village, M. Ancille, coiffée de lierre, fardée de gris, ridée de lézardes ; une maison ancienne comme on en voit tant dans ce petit village. Je pressai le bouton de la sonnette, mais n'obtins pour toute réponse que l'écho des premières notes de La Nuit sur le Mont Chauve. Je tentai alors d'ouvrir la porte et m'aperçus ce faisant que celle-ci n'était pas verrouillée, ce qui facilita grandement mon entreprise. À l'intérieur, un vaste hall nous accueillit, avec, sur notre gauche, un petit meuble surmonté d'un miroir et d'un pot de fleurs, toutes fanées. Bien qu'elle fût assez grande, nous fîmes rapidement le tour de la demeure et découvrîmes ici, une cuisine où une assiette pleine de pâtes périmées avait été oubliée dans le four à micro-ondes, là, un bureau bien rangée avec, sur une table, un bouchon de stylo et une lettre qui se terminait par un mot incomplet, et, sur le sol, le stylo auquel appartenait le bouchon. Dans le salon, on avait oublié d'éteindre la télévision, et dans la salle de bains, un sèche-cheveux pendait, sur ON, à une prise. Lorsque nous sortîmes, je n'étais guère plus avancé qu'à mon arrivée, et plus je cherchais des réponses, plus je me posais de questions, si bien qu'à la fin je décidai de quitter Mysérieux, sans avoir élucider le mystère, de retourner dans mon bureau, au Monde de Domuse, et de rédiger le présent article afin de partager avec vous, chers lecteurs, mon incrédulité. C'était sans compter une rencontre inopinée.
En effet, lorsque nous fûmes de retour sur la place, un homme se trouvait près de ma voiture, ou, devrais-je dire, derrière ma voiture, car il semblait se cacher, comme pour échapper à quelque chose. Lorsque ce dernier me vit arriver, accompagné de ma fille adoptive, il courut à notre rencontre, s'agenouilla et m'implora de l'aider à fuir ce village maudit, et, lorsque je lui demandai pour quelle raison les habitants du village avaient tous disparu, il écarquilla les yeux, me fixa quelques instants avant de se mettre à pleurer et à geindre, incapable de prononcer un mot.
Voyant que Nadia commençait à avoir peur, je pris la décision de partir. De retour à Domuse, je passai les différents éléments de mon enquête en revue, mais il me fut impossible d'attribuer une cause logique à la soudaine désertion de Mysérieux, aucune cause sinon une explication qui ressemblât à ce qu'avait vécu Nadia, ce que le récit de Paul, l'homme que nous avions ramené avec nous, confirma, et, chers lecteurs, il se pourrait que les informations que je pus ainsi glaner apportent une lumière nouvelle sur les étranges événements de Crémieux. En effet, l'homme, bien que dans un galimatias peu intelligible, me conta une histoire des plus extraordinaires et, surtout, des plus horrifiantes.
Paul vivait une vie paisible à Mysérieux, et y avait toujours vécu heureux, jusqu'à ce qu'il fût le témoin d'un phénomène pour le moins étrange, alors qu'il se rendait à la boulangerie pour acheter son pain quotidien. En arrivant, il avait demandé une baguette, comme à l'accoutumée, et avait posé la monnaie sur le comptoir, comme il était également de coutume, mais lorsqu'il avait relevé les yeux pour remercier la boulangère, cette dernière avait disparu sous ses yeux, emportée par une ombre qui sortait du mur, par lequel elle avait été comme aspirée, une chose amorphe et noire qui avait englouti de la sorte un par un les autres villageois, surgissant indifféremment des murs, du sol ou bien encore du plafond, dans les maisons, la salle communale, l'église, le bar, l'école, partout. Lorsque nous étions arrivés, il était probablement le seul rescapé et n'avait absolument aucune idée de ce qu'était devenu le reste de la population. Dubitatif, je dus me résigner à admettre la bonne foi de Paul après que Nadia eut confirmé ses propos invraisemblables, en pleurs.
Cependant que je rédige le présent article, je ne peux m'empêcher de lier cette étrange affaire aux événements qui prirent récemment place à Domuse et dans ses environs. Des personnes dévorées par un loup surdimensionné, la progéniture dégénérée des Legriot, un manoir qui s'effondre soudainement et sans raison, la disparition d'un savant renommé, sans parler de l'invasion par des rats du village de Muris – je crains hélas fort que le pire nous attende, chers lecteurs, mais je continuerai, quoi qu'il arrive, à enquêter, car c'est mon devoir envers vous, mon devoir envers la communauté domusienne et ses environs, dussé-je y laisser ma propre vie.
Domuse, le 15 juillet. W.E.B.
C'est accompagné par la petite Nadia, cette malheureuse orpheline que j'adoptai à sa sortie de l'hôpital, que j'arrivai le mardi 10 juillet aux premières lueurs de l'aube à Mysérieux, village austère s'il en est, où tout est gris, des murs aux toits, de l'école à l'église, de la terre au ciel, gris de fond en comble. Nous laissâmes ma voiture sur la place du village pour nous rendre à la mairie, qui se trouvait juste derrière. Après avoir frappé un moment à la porte du pitoyable édifice, dont la laideur inénarrable n'avait d'égal que le vide qui y régnait lorsque j'entrai de moi-même, las d'attendre qu'une hypothétique employée m'ouvrît. À l'intérieur, deux pièces, la première encombrée de bureaux, eux-mêmes encombrés de paperasse, et la seconde, sobre, boisée, avec pour seuls meubles une table d'acajou et une chaise du même bois, celle du maire, absent. Nadia me fit remarquer en les pointant de son petit doigt les lunettes de ce dernier, non pas posées sur un document officiel, comme j'eusse pu m'y attendre, mais branches en l'air, reposant sur les verres, comme si elles étaient tombées là, pour être oubliées ensuite. C'était étrange, mais ne disposant pour l'instant de plus amples informations, je décidai de sortir visiter les alentours.
Lorsque Nadia et moi sortîmes, l'atmosphère nous sembla soudainement plus pesante, voire étouffante, probablement en raison de la chaleur estivale. Nous traversâmes tranquillement la place, puis la route, sur laquelle ne circulait aucun véhicule, et arrivâmes au bar, qui vendait également du tabac et des journaux, ainsi que dans beaucoup de villages français, à la différence près que, bien qu'ouvert, le buraliste était, tout comme le maire, absent, bien que tout laissât supposer, dans une pièce où l'air empestait encore la fumée de cigarette et la puanteur des journaux, que l'établissement accueillait encore des clients, à en juger par les verres de bières à demi vides, la monnaie sur le comptoir, la crasse sur le sol ou bien encore un robinet par lequel un filet d'eau s'écoulait tranquillement dans un lavabo que la vaisselle emplissait à ras bord. Je saisis un verre au hasard, sur une table, détachai le dessous auquel il se trouvait fortement collé, l'examinai, trouvai des traces de lèvres sèches et de la poussière flottant dans le liquide brunâtre. Nadia désigna du doigt une laisse qui était attachée à une barre métallique, près des toilettes, mais aucun chien ne se trouvait à l'autre extrémité, bien que le collier fût fermé. Avant de repartir, je tournai le bouton du robinet afin de faire cesser l'inutile écoulement, puis refermai la porte derrière moi avant de retourner la petite pancarte qui y était suspendue et sur laquelle on pouvait lire, malgré l'état lamentable de l'objet, OUVERT.
Nadia et moi allâmes alors visiter le reste du village, longeâmes des rues désertes, vîmes des maisons à l'abandon, la décrépitude d'une bourgade autrefois prospère et qui, avant que ses habitant ne disparussent, avait connue une lente déchéance jusqu'à tomber dans l'oubli général, tandis qu'il n'était plus peuplé alors que de paysans à la retraite, de veuves et de quelques enfants dégénérés issus d'incestes inavouables. Nous arrivâmes en peu de temps à la maison de l'homme le plus fortuné du village, M. Ancille, coiffée de lierre, fardée de gris, ridée de lézardes ; une maison ancienne comme on en voit tant dans ce petit village. Je pressai le bouton de la sonnette, mais n'obtins pour toute réponse que l'écho des premières notes de La Nuit sur le Mont Chauve. Je tentai alors d'ouvrir la porte et m'aperçus ce faisant que celle-ci n'était pas verrouillée, ce qui facilita grandement mon entreprise. À l'intérieur, un vaste hall nous accueillit, avec, sur notre gauche, un petit meuble surmonté d'un miroir et d'un pot de fleurs, toutes fanées. Bien qu'elle fût assez grande, nous fîmes rapidement le tour de la demeure et découvrîmes ici, une cuisine où une assiette pleine de pâtes périmées avait été oubliée dans le four à micro-ondes, là, un bureau bien rangée avec, sur une table, un bouchon de stylo et une lettre qui se terminait par un mot incomplet, et, sur le sol, le stylo auquel appartenait le bouchon. Dans le salon, on avait oublié d'éteindre la télévision, et dans la salle de bains, un sèche-cheveux pendait, sur ON, à une prise. Lorsque nous sortîmes, je n'étais guère plus avancé qu'à mon arrivée, et plus je cherchais des réponses, plus je me posais de questions, si bien qu'à la fin je décidai de quitter Mysérieux, sans avoir élucider le mystère, de retourner dans mon bureau, au Monde de Domuse, et de rédiger le présent article afin de partager avec vous, chers lecteurs, mon incrédulité. C'était sans compter une rencontre inopinée.
En effet, lorsque nous fûmes de retour sur la place, un homme se trouvait près de ma voiture, ou, devrais-je dire, derrière ma voiture, car il semblait se cacher, comme pour échapper à quelque chose. Lorsque ce dernier me vit arriver, accompagné de ma fille adoptive, il courut à notre rencontre, s'agenouilla et m'implora de l'aider à fuir ce village maudit, et, lorsque je lui demandai pour quelle raison les habitants du village avaient tous disparu, il écarquilla les yeux, me fixa quelques instants avant de se mettre à pleurer et à geindre, incapable de prononcer un mot.
Voyant que Nadia commençait à avoir peur, je pris la décision de partir. De retour à Domuse, je passai les différents éléments de mon enquête en revue, mais il me fut impossible d'attribuer une cause logique à la soudaine désertion de Mysérieux, aucune cause sinon une explication qui ressemblât à ce qu'avait vécu Nadia, ce que le récit de Paul, l'homme que nous avions ramené avec nous, confirma, et, chers lecteurs, il se pourrait que les informations que je pus ainsi glaner apportent une lumière nouvelle sur les étranges événements de Crémieux. En effet, l'homme, bien que dans un galimatias peu intelligible, me conta une histoire des plus extraordinaires et, surtout, des plus horrifiantes.
Paul vivait une vie paisible à Mysérieux, et y avait toujours vécu heureux, jusqu'à ce qu'il fût le témoin d'un phénomène pour le moins étrange, alors qu'il se rendait à la boulangerie pour acheter son pain quotidien. En arrivant, il avait demandé une baguette, comme à l'accoutumée, et avait posé la monnaie sur le comptoir, comme il était également de coutume, mais lorsqu'il avait relevé les yeux pour remercier la boulangère, cette dernière avait disparu sous ses yeux, emportée par une ombre qui sortait du mur, par lequel elle avait été comme aspirée, une chose amorphe et noire qui avait englouti de la sorte un par un les autres villageois, surgissant indifféremment des murs, du sol ou bien encore du plafond, dans les maisons, la salle communale, l'église, le bar, l'école, partout. Lorsque nous étions arrivés, il était probablement le seul rescapé et n'avait absolument aucune idée de ce qu'était devenu le reste de la population. Dubitatif, je dus me résigner à admettre la bonne foi de Paul après que Nadia eut confirmé ses propos invraisemblables, en pleurs.
Cependant que je rédige le présent article, je ne peux m'empêcher de lier cette étrange affaire aux événements qui prirent récemment place à Domuse et dans ses environs. Des personnes dévorées par un loup surdimensionné, la progéniture dégénérée des Legriot, un manoir qui s'effondre soudainement et sans raison, la disparition d'un savant renommé, sans parler de l'invasion par des rats du village de Muris – je crains hélas fort que le pire nous attende, chers lecteurs, mais je continuerai, quoi qu'il arrive, à enquêter, car c'est mon devoir envers vous, mon devoir envers la communauté domusienne et ses environs, dussé-je y laisser ma propre vie.
Domuse, le 15 juillet. W.E.B.
Le 15 juillet 2007