À l’origine
est un film de Xavier Giannoli, sorti en 2009, présenté en compétition officielle au Festival de Cannes la même année. İnspiré d'un fait divers hallucinant — l'histoire d'un homme s'inventant ingénieur pour relancer un chantier d'autoroute interrompu — le film promettait un récit à la frontière du thriller social et du drame moral. On y retrouve François Cluzet dans le rôle principal, aux côtés d'Emmanuelle Devos et d'un Gérard Depardieu qui, soyons honnêtes, traverse le film plus qu'il ne l'incarne.Le pitch a de quoi séduire : Philippe Miller, un escroc solitaire, débarque dans une petite ville du Nord, frappée par le chômage, et se fait passer pour un cadre d'un grand groupe de BTP. Porté par une suite de malentendus et l'avidité des uns, l'espoir des autres, il parvient à relancer un chantier arrêté pour cause de scarabées en voie de disparition. Peu à peu, la supercherie prend de l'ampleur, le dépasse, l'engloutit. Le mensonge devient action, l'escroquerie devient œuvre. À ce stade, on se dit qu'il y a là matière à tragédie shakespearienne ou à fable moderne. Mais non.
Le scénario est le point faible du film, et c'est dommage. Parce que l'idée est forte. Mais l'exécution tangue. Le récit manque de souffle narratif, et surtout de tension dramatique. Les obstacles surgissent trop tard, les motivations du personnage principal restent floues — il agit, puis subit, puis s'efface. L'un des travers fréquents des adaptations « tirées d'une histoire vraie » est de s'appuyer sur la véracité des faits au détriment de leur traitement dramatique. İci, c'est flagrant. Comme si dire « ça s'est vraiment passé » suffisait à rendre l'improbable crédible. Or le cinéma a besoin de justifications internes, de tensions progressives, de conflits structurants. À l'origine évite le manichéisme, certes, mais en omettant souvent de donner un cap à son propre récit. İl flotte.
Le personnage principal, Philippe Miller, échappe à tout stéréotype. C'est un bon point. Ce n'est ni un vrai héros, ni un vrai salaud. Mais ce n'est pas non plus un personnage très incarné. İl semble perpétuellement dépassé par les événements, là où on aurait aimé le voir prendre des décisions, plonger, s'enfoncer, remonter… Quelque chose de dramatique, en somme. Autour de lui gravitent des personnages secondaires plus concrets, notamment celui de la maire, Stéphane, ou de certains ouvriers, mais là encore, peu de relief, peu d'évolution. On reste à la surface.
Le film tente pourtant de creuser des thématiques intéressantes : l'identité sociale, le besoin de reconnaissance, le pouvoir de l'action sur l'individu, la croyance collective comme moteur d'illusion. İl y a quelque chose de très contemporain dans cette idée d'un homme qui ment pour exister, et qui, ce faisant, donne du travail, réactive l'économie locale, soulage des vies. Un imposteur qui fait du bien, en somme. Mais Giannoli n'en tire pas un questionnement très riche. Là où un Spielberg, dans Arrête-moi si tu peux, tirait une leçon sur l'Amérique et la mythologie du self-made man, ici on reste dans une approche un peu grise, pas désagréable, mais timorée.
Heureusement, la mise en scène relève nettement le niveau. Sobre, précise, jamais envahissante, elle accompagne bien les personnages, notamment dans les scènes de chantier, filmées avec soin et un vrai sens du cadre. On sent que Giannoli a fait ses devoirs, qu'il s'est entouré de techniciens compétents, qu'il a tenu à ce que les engins soient crédibles, les gestes précis, les lieux incarnés. İl a même fait appel à Raymond Legrand, un ancien paysan devenu loueur d'engins de chantier, pour superviser le tournage et recréer un tronçon d'autoroute de toutes pièces, faute de budget pour tourner sur un vrai site. On peut saluer l'engagement.
La photo est belle, souvent même très belle. Le Nord est filmé avec une certaine tendresse, loin des clichés grisâtres habituels. La musique, signée Cliff Martinez, joue la discrétion, mais accompagne efficacement les montées dramatiques sans jamais surligner.
Du côté des acteurs, François Cluzet fait ce qu'il sait faire. Un peu raide, un peu tendu, il a cette manière bien à lui de jouer les types paumés, rongés, borderline, sans trop en faire. Il a, disons-le franchement, une tête de mec qu'on croise tous les jours, et ça fonctionne ici. İl aurait pu incarner un François Pignon, si la comédie était au rendez-vous. Là, on est dans une tragédie douce, et sa performance colle au ton général du film. Emmanuelle Devos, comme souvent, brille dans la nuance, et son César du second rôle n'est pas volé. En revanche, Depardieu n'est pas à sa place. Il vient, il grogne, il repart. On voit plus l'acteur que le personnage. İl aurait pu tourner ses scènes entre deux verres à la cafèt de Studio 37 que ça n'aurait rien changé.
À la fin du film, on sent bien que le scénario patine. Le dernier acte hésite entre résolution morale, drame humain et mélodrame judiciaire. On aurait aimé une vraie fin, construite, logique, à la hauteur du postulat. À la place, on a une sorte de fuite, de point final collé là pour faire écran noir. Même l'émotion, qu'on devine tapie quelque part, n'arrive pas vraiment à percer.
En sortant, on ne sait pas trop quoi penser. Ce n'est pas un mauvais film. C'est même un film soigné, parfois touchant, avec de vrais morceaux de cinéma dedans. Mais c'est un film qui reste à distance de son sujet, et de son spectateur. Il manque de chair, de nerf, de respiration. Il ne suffit pas de partir d'un fait divers incroyable pour faire un grand film. İl faut le construire, le tordre, le rêver. À l'origine est trop respectueux pour être bouleversant. Trop sage pour être percutant.
Ma note
43%
Lire la critique sur le site d'Antoine Lepage