Colorful ne ressemble à aucun autre film d'animation japonais. Réalisé en 2010 par Keiichi Hara, cet ovni cinématographique onirique et poétique ose aborder des thèmes d'une noirceur rarement explorée dans ce média : le suicide chez les adolescents et la quête existentielle dans un monde où l'on peine à trouver sa place. Une audace qui a d'ailleurs fait polémique au Japon à sa sortie, certains jugeant le sujet trop dérangeant pour un dessin animé.

L'intrigue émouvante suit les pérégrinations d'une âme désincarnée qui, après s'être donné la mort, obtient une seconde chance en réintégrant le corps de Makoto, un collégien perturbé. À travers les yeux de cet esprit candide et philosophe, nous plongeons dans le tumulte intérieur et le quotidien angoissant d'un jeune homme en proie à une profonde remise en question existentielle, au rejet des autres, au harcèlement, à la solitude et à l'incompréhension familiale.

Si le scénario aux accents fantastiques n'échappe pas totalement aux clichés du genre « seconde chance », il parvient néanmoins à dresser un portrait d'une justesse confondante sur la jeunesse japonaise contemporaine, ses doutes lancinants, ses blessures à vif et ses failles béantes. Une plongée d'autant plus poignante que Keiichi Hara s'est longuement documenté, rencontrant de nombreux adolescents suicidaires pour nourrir son oeuvre.

Les personnages principaux et secondaires, bien que stéréotypés par moments, n'en demeurent pas moins d'une vérité criante et terriblement attachants. On assiste impuissants à leurs affres, on vibre à leurs rares instants de grâce, on se délecte de leurs fêlures capricieuses.

Mais ce qui frappe d'emblée à la vision du film, c'est sa réalisation d'une beauté stupéfiante. Keiichi Hara, véritable artiste-peintre dans l'âme, fait montre d'une maîtrise impressionnante de différentes techniques d'animation, mariant avec un brio renversant le dessin traditionnel à des décors d'une fidélité photographique et d'un réalisme transcendants. Un cosmique régal pour les mirettes, qui n'a d'égal que la profondeur abyssale des thèmes explorés, où la légèreté et la gravité s'entrechoquent et s'enlacent avec une délicatesse rarement atteinte sur grand écran.

Certes, Colorful est loin d'être un divertissement familial ou un film pour enfants. Son rythme contemplatif et son propos éminemment introspectif réclament une réelle atten tion et patience de la part du spectateur. Mais pour qui saura s'ouvrir à cet univers d'une subtilité et d'une poésie confondantes, ce sera une expérience d'une richesse émotionnelle et intellectuelle rarement égalée. Une œuvre choc et bouleversante, à ranger aux côtés des plus grandes réussites du studio Ghibli dans la veine mélancolique et intimiste. Un petit bijou d'animation trop méconnu qui, espérons-le, trouvera son public à travers les années.

Note : 7 / 10