• Julien   Lepage

Marie-Line et son juge est un film qui aurait pu passer inaperçu parmi les sorties françaises de l’année 2023, mais qui, grâce à une simplicité désarmante et un casting solide, parvient à captiver. Réalisé par Jean-Pierre Améris, connu pour son goût des récits sensibles et souvent ancrés dans la vie quotidienne, ce long-métrage s’attaque à des thématiques aussi universelles que la résilience, la rencontre improbable et la lutte contre le déterminisme social. Avec une adaptation du roman Changer le sens des rivières de Murielle Magellan, le réalisateur s’entoure de Louane Emera, Michel Blanc et Victor Belmondo pour donner vie à une histoire où l’humanité prime sur les artifices.

L’intrigue, relativement simple, suit Marie-Line, une jeune serveuse énergique, mais un peu paumée, qui, après un concours de circonstances malheureux, se retrouve à devoir conduire un vieux juge bougon. Entre ce duo improbable, tout semble les opposer : elle, flamboyante et spontanée, lui, rigide et mélancolique. Pourtant, au fil des kilomètres et des dialogues parfois tendres, parfois piquants, une complicité naît, et avec elle, une réflexion sur leurs vies respectives et les barrières sociales qu’ils tentent de surmonter. En arrière-plan, les relations familiales compliquées de Marie-Line et les ambitions d’un jeune étudiant en cinéma, interprété avec justesse par Victor Belmondo, viennent enrichir un récit déjà chargé en émotions.

Le scénario, bien que classique dans sa construction, se distingue par des dialogues finement ciselés et des moments de grâce qui surgissent là où on ne les attend pas. L’écriture n’évite pas toujours certains clichés, notamment dans les figures secondaires comme le père de Marie-Line ou la compagne du juge, mais compense largement par la sincérité de son propos. İl y a une véritable attention portée à ces détails du quotidien qui ancrent le film dans une réalité tangible. Les interactions entre les personnages principaux, notamment dans des scènes comme le fameux dîner entre amis, regorgent d’authenticité et de subtilité.

Le personnage de Marie-Line est sans conteste l’âme du film. Elle incarne une jeunesse qui se débat avec son passé et les attentes sociales, mais qui, malgré tout, avance avec détermination. La dualité de son caractère — légère et profonde à la fois — trouve un bel écho dans la relation qu’elle développe avec le juge. Lui, en revanche, semble porter tout le poids de sa fonction et de sa solitude, et c’est dans son interaction avec Marie-Line qu’il trouve une forme de rédemption. Quant à Alexandre, le cinéaste en devenir joué par Victor Belmondo, son rôle, bien que moins développé, agit comme un catalyseur pour les réflexions de Marie-Line.

Les thèmes abordés sont riches : l’ascension sociale, les rêves étouffés, la transmission intergénérationnelle et les clivages entre classes. Jean-Pierre Améris parvient à parler de tout cela sans jamais sombrer dans le pathos, en partie grâce à une mise en scène discrète, mais efficace. Les paysages du Havre, magnifiquement filmés, renforcent l’ancrage du récit dans une France du quotidien, où les inégalités s’expriment aussi bien dans les dialogues que dans les décors. La bande-son, ponctuée de la chanson de Julien Clerc Les séparés, ajoute une note mélancolique parfaitement dosée, bien que certains moments auraient peut-être gagné à plus de retenue musicale.

Côté interprétation, Louane surprend par la fraîcheur et la justesse qu’elle insuffle à son rôle. Après une absence remarquée au cinéma depuis La famille Bélier, elle montre ici qu’elle peut incarner des personnages complexes et nuancés avec beaucoup de talent. Le regretté Michel Blanc, de son côté, est fidèle à lui-même, d’une précision sans faille, tout en jouant sur une vulnérabilité qu’il dévoile progressivement. Victor Belmondo, avec son élégance naturelle, s’impose de plus en plus comme un visage familier du cinéma français, même si son rôle ici reste secondaire. Justement, parmi les rôles secondaires, Philippe Rebbot incarne avec justesse un père qui a baissé les bras, parvenant à être touchant. Un joli rôle. Mention spéciale également à Alexandra Gentil marquante dans le rôle de la sœur déjantée.

En somme, Marie-Line et son juge est une comédie dramatique qui ne révolutionne pas le genre, mais qui séduit par sa sincérité et son humanité. Jean-Pierre Améris signe ici une œuvre qui rappelle que, parfois, ce sont les rencontres les plus improbables qui nous poussent à aller de l’avant. Un film à découvrir pour ses dialogues bien écrits, son casting lumineux et sa capacité à émouvoir sans artifice. Un joli moment de cinéma, à savourer avec indulgence et un sourire aux lèvres.

Note : 8 / 10