• Julien   Lepage

Ce film, réalisé par Clint Eastwood, marque une étape particulière dans la carrière du cinéaste. Présenté comme son ultime œuvre, il arrive chargé d’attentes, tant pour les amateurs de films de procès que pour les inconditionnels du réalisateur. Avec un casting impressionnant, mené par Nicholas Hoult, Toni Collette, et J. K. Simmons, le film propose une intrigue prometteuse, à la croisée de Douze hommes en colère et d’un thriller psychologique. Mais si le potentiel est là, le résultat final laisse un goût d’inachevé.

L’histoire suit Justin Kemp, un homme ordinaire propulsé dans un dilemme moral extraordinaire lorsqu’il se retrouve juré dans une affaire de meurtre dont il comprend peu à peu qu'il pourrait être lui-même l’auteur. Ce postulat rappelle immédiatement le Septième juré, film de Georges Lautner sorti en 1962, où Bernard Blier incarnait un juré rongé par la culpabilité après avoir assassiné une femme. Si les deux œuvres partagent ce point de départ captivant, leurs trajectoires diffèrent : là où Lautner explorait l’hypocrisie sociale et le poids du conformisme, Eastwood s’intéresse davantage aux conflits intérieurs et à la notion de responsabilité individuelle. Toutefois, en comparaison, Juré n° 2 manque parfois de la profondeur psychologique et de la subtilité qui faisaient la force du film français.

Le scénario cherche à maintenir la tension en jouant sur l’ambiguïté morale du protagoniste et les failles du système judiciaire. Les scènes de délibérations du jury, par exemple, permettent d’aborder les biais humains et la fragilité des certitudes. Cependant, certaines ficelles narratives sont trop visibles, comme ces flashbacks appuyés ou des rebondissements qui tombent parfois à plat. Ce qui fonctionnait dans le Septième juré, avec son approche intimiste et minimaliste, semble ici légèrement dilué par un récit qui tente d’en faire un peu trop.

Les personnages, bien qu’intéressants, peinent à échapper à une certaine fonction narrative. Justin, incarné par Nicholas Hoult, est efficace en homme banal pris au piège de sa conscience, mais son évolution reste prévisible. La procureure Faith Killebrew, jouée par Toni Collette, est une figure d’autorité crédible, mais un peu trop monolithique pour marquer durablement. Quant à J. K. Simmons, il s’illustre dans un rôle de juré retraité qui apporte une gravité bienvenue aux débats. C’est néanmoins Gabriel Basso, dans le rôle de l’accusé, qui parvient à insuffler le plus d’émotion et de complexité à son personnage.

Les thèmes abordés, notamment la justice et la morale, sont des terrains familiers pour Eastwood. Cependant, là où le réalisateur excelle souvent à jouer avec l’ambiguïté, il reste ici un peu trop dans les clous. La peinture du système judiciaire comme imparfait, mais nécessaire, est pertinente, mais elle manque de la profondeur d’analyse qui aurait pu rendre le film mémorable. On aurait aimé retrouver davantage de la finesse avec laquelle Lautner dénonçait les travers d’une société hypocrite dans son film.

Sur le plan technique, Eastwood reste fidèle à son style sobre et classique. La photographie d’Yves Bélanger est un atout majeur, jouant avec la lumière pour renforcer l’atmosphère oppressante du tribunal. Le décor, construit en studio, est d’un réalisme bluffant, témoignant du soin apporté à la mise en scène. La bande-son, signée Mark Mancina, accompagne avec discrétion, mais efficacité les moments clefs.

Un autre point fort du film réside dans sa version française. La VF est d’excellente qualité, portée par des comédiens de doublage chevronnés comme Emmanuel Garijo, Marjorie Frantz, Alexis Victor, Emmanuel Jacomy, Thierry Desroses, ou encore Boris Rehlinger. Le travail de doublage parvient à préserver les nuances des performances originales tout en adaptant parfaitement les dialogues au ton du film.

Juré n° 2 est un film solide qui, bien que classique dans son approche, offre une expérience cinématographique plaisante. Si le film n’atteint pas les sommets espérés, notamment en comparaison avec des œuvres similaires comme le Septième juré, il reste un bon moment de cinéma, porté par une réalisation efficace et des performances honorables. Les amateurs de films de procès y trouveront leur compte, même si le film ne révolutionnera pas le genre. Pour Eastwood, c’est une conclusion digne, bien qu’un peu sage, à une carrière remarquable.

Note : 7 / 10