À quatre mains

Ma vie contre la mienne



Partie 1

JENNY


CHAPITRE 1 – JENNY ET CHARLY

Jenny Studerbäckerstein était une lycéenne aboutie et pleine de complaisance envers la vie qui lui avait value d’être triple championne de pentabond de Saint Ronald des Monts. C’était une fille heureuse, croquant la vie à pleins poumons. Cependant, derrière ce bonheur apparent se cachait une profonde tristesse : à vingt-cinq, elle n’avait toujours pas encore rencontré le grand amour ! Pourtant, songea-t-elle en relisant son journal intime, de nombreux hommes avaient traversé sa vie au cours du temps. C’est toujours avec nostalgie – quoique parfois avec rire et chansons – que la douce colombe se remémorait ses anciens amants.

Il y avait d’abord eu Franck, ce grand charmeur dont le strabisme n’était pas sans rappeler le sens de l’humour hors du commun par lequel il masquait avec subtilité son pied bot que lui avait valu la terrible guerre du Viêt Nam ; guerre au cours de laquelle il avait perdu ses deux fils, résultats de son premier mariage qui batifola de l’aile jusqu’à perdre le contrôle de son couple à cause d’une tragique histoire de cocaïne… Mais c’était il y a bien longtemps, et depuis, le bellâtre avait rejoint sa femme, au grand dam de Jenny. Criblée de chagrin, elle avait alors trouvé refuge dans les bras mous et confortables de Carl. Carl est le diminutif de Jean-Raphaël, ce grand romantique amateur de sensations fortes. Il avait cette capacité absolument folle de mêler sentiments et arts-martiaux, cerises et mayonnaise ou même cubisme et tecktonik. Jamais elle ne pourrait oublier ce jour merveilleux où Carl, pour lui prouver son inclination, décida de combattre un poulpe à mains nues, sur le parvis de l’église du village. « C’était le bon temps », soupira Jenny. Mais ce bon temps était désormais révolu, car c’était d’une autre dont le bel éphèbe était épris. Il avait en effet rencontré Thyffannÿes Kringlüskinovitzkov, une charmante marocaine qui avait trouvé asile en France lors de la guerre de cessation, au moment de l’éclipse de l’apocalypse prévue dans la bible au psaume vingt-neuf de l’évangile selon Cristobal, connu également sous le nom de John-John John, le célèbre pirate des mers du Sahara. Thyffannÿes incarnait la féminité dans toute sa splendeur rayonnante. C’était l’une des plus belles femmes de Saint Ronald des Monts, si l’on ne tient pas compte toutefois de cette cruelle calvitie qui la touche.

Après qu’elle eut appris que Carl aimait une autre qu’elle, Jenny s’était plongée dans la cucaracha, cet alcool sud-américain à base de liqueur de café. C’est au cours de ces instants troubles de sa jeune vie qu’elle rencontra Mickaël, le barman de l’église Sainte Radegonde. Elle fut touchée par l’histoire passionnée de cet ancien mineur scandinave, exploité honteusement dans des mines de plutonium en Belgique orientale. Elle fut également touchée par la mort de ses parents, torturés par les cruelles milices romaines, avides de nouvelles conquêtes lors de la tragique guerre des Gaules. Enfin, elle fut touchée par un éclat d’obus soviétique, daté selon les experts du cinquième siècle pendant Jésus Christ.

Cependant, ce douloureux passé ne pouvait pas tout pardonner, et il faut bien avouer que Mickaël avait commis des fautes. Il s’était battu aux côtés de Staline en 1936, d’Hitler en 1942 et enfin de la bête du Gévaudan en 1980. Jenny ne savait pas s’il fallait oublier ces erreurs de jeunesse ou en omettre l’existentialisme libérateur pour ne conserver que cet aspect propre à l’exigence que connaît le sursaut post-moderne de la renaissance contemporaine.

Ce fut alors que soudain, dans un brusque sursaut de surprise inattendue et parfaitement imprévue, comme seule la vie peut en procurer parfois, que Jenny rencontra Maurice… Maurice était à la fois ce qu’on pouvait imaginer de plus, et à la fois tellement différent. C’est peut-être ce côté provocateur de son aspect psychologique qui avait plongé Jenny dans un tourbillon incontrôlable d’amour envers cet équarrisseur bulgare qui parlait de son métier avec une telle passion et une telle fougue que Jenny vouait désormais un culte soudain et brusque à cette noble profession dont les origines peu connues semblent remonter aux périodes les plus sombres du moyen-âge. Maurice, ou « Maurice » comme l’appelaient ses proches, était un bon vivant, passionné par la télévision, le football, les chips, la bière, les prostituées hongroises et l’astronomie appliquée à l’étude des exoplanètes. Une fois de plus, Jenny pensait avoir trouvé le bonheur ; pourtant, encore fragile, elle consultait à l’époque un psychanalyste dénommé Chérémy qui parvint, au fur des séances, à la convaincre qu’elle et Maurice étaient en réalité deux facettes d’une même personnalité et que cet homme n’existait pas. Dès qu’elle en fut persuadée – et suivant les conseils de son thérapeute, la belle ronaldmontaise liquida son conjoint à coups de révolver avant de faire disparaître le corps dans la Visquouse., la rivière qui coule dans le paisible village.

C’est à ce moment-là que John apparut dans la vie de Jenny. Il s’appelait John, était grand – près d’un mètre quatre-vingt-un et demi – et avait une passion pour les enfants. Justement, Jenny adorait les hommes qui aiment les enfants, bien que cela ait coûté à John quinze ans de prison ferme et un changement d’identité à sa sortie ; en effet, avant son séjour en prison, il s’appelait John. Ce changement a été fait pour préserver son anonymat, mais aussi pour masquer son identité passée. Depuis, l’homme est vendeur de tapis à bord de chalutiers voguant sur les eaux troubles et infestées de créatures terrifiantes de la mer Atlanfique.

Du fait de son activité marine, voire cavernicole, il était bien difficile pour ces deux êtres qui n’étaient encore qu’amis de se voir, ne serait-ce que pour prendre un verre. Mais après des mois de harcèlement téléphonique, courrierélectronique, et courrierpostalique, Jenny réussit à obtenir un rendez-vous avec l’être aimé. Jenny, qui était une très jolie humaine de sexe femelle, décida de se faire la plus belle possible pour cette rencontre organisée dans le grand parc floral. Elle devait en effet tout miser sur cette journée, tant la difficulté qu’elle avait eue pour obtenir ce rendez-vous était handicapante. Il faut dire que John, bien que pas spécialement difficile en matière de femme, appréhendait cette rencontre avec Jenny, car au cours de son dernier séjour en mer, elle lui avait envoyé une photo d’elle qui n’était pas à son avantage. Il est vrai que sur cette photo, cette dernière ressortait d’un terrible accident de voiture à la suite duquel on avait dû lui amputer la moitié du visage.

Toutefois, elle avait désormais ce rendez-vous en sa possession ! D’ailleurs, l’heure fatidique approchait inéluctablement alors que Jenny était en route vers le snack-bar-sandwicherie-librairie culturelle où ils avaient fixé leur lieu de rencontre. Une fois sur place, elle le chercha du regard et c’est alors que Jenny aperçut John. C’est à ce moment précis crucial qu’une pensée lui traversa le crâne telle une balle de calibre 12 Magnum, canons 76 millimètres, détente double 242DP71M : « si je lui révélais cet amour profond caché au cœur de mes entrailles afin de laisser exploser mes sentiments les plus dignes d’amour et d’ovation ? »

Elle porta alors sur lui un regard nouveau, emprunt d’une profonde admiration mais aussi d’une certaine pitié en voyant ce dernier frapper énergiquement ses bras et ses jambes, luttant contre le point rouge du laser avec lequel jouaient quelques adolescents. « Cette fois-ci, se dit-elle, c’est le bon ! J’en mettrais ma main à couper au feu ! ». Elle se dirigea dans sa direction tout en s’en approchant et lui prononça ces mots si soudains et pulsionnaires :

« John, cela fait bientôt deux semaines et demie que nous nous connaissons… C’était à ce bal de la rue organisé par la belle-sœur de Lucas… Tu étais si beau que je t’ai trouvé magnifique et je suis tout de suite tombée sous ton charme fantastique et envoûtant… John, je…

– Ne dis plus un mot, s’empressa le bougre de répondre. J’ai…

– Oh John… Tu as tout de suite saisi où je comptais subtilement en venir lors de ma tirade introductive à mon oraison soudaine ?

– Oui Jenny… »

Puis John déposa délicatement ses lèvres contre les siennes de Jenny en l’embrassant fougueusement avec la douceur d’un premier baiser. Cet amour qui naquit à ce moment précis paraissait indestructible, invulnérable et à la fois simple et plein de poésie infantile que la compassion de ce monde semblait supporter avec une certaine hauteur symbolique qui serait sans doute l’un de ces instants magiques du vingt-et-unième siècle qui savent rendre les choses si agréables, sans pour autant préserver cette touche de narcissisme régnant sur la pénombre crépusculaire de la beauté euphorique et métastasique de cet instant.

Pendant ce temps, au château de la crypte du marquis de Saint Jean-Jacques le preux, Highør, le célèbre prothésiste, s’apprêtait à sévir une fois de plus. En effet, depuis quelques temps dont seuls les arbres portent avec désuétude le souvenir de mémoire à la fois si lointain que le temps lui-même semble ne plus en percevoir toute la symbolique protozoairienne, se tramaient d’étranges événements dans cette clinique de chirurgie plastique. Les femmes qui venaient à des fins de reformation faciale en ressortaient certes plus belles que lors des heures cruelles de leur vie, mais la ressemblance de leur nouveau visage avec celui de l’ex-femme assassinée du beau-frère de l’oncle du cousin issu de germain de la grand-tante du garagiste habitant dans la même rue que l’ancien voisin de la belle-sœur de l’oncle du concierge de la nièce du père de la meilleure amie de Jenny, Lucassine, était troublante !

Certes, la police scientifique supposait que le crime ne s’était jamais produit ; du moins pas dans les circonstances que le FBI avait tenté de le faire croire aux ronaldmontais ; pourtant, indédubitablement, le coup avait été organisé par Al Qaida, commandité par le GIGN, les extraterrestres, Corsica Natione, Dark Vador, Ronald Mac Donald et le fils de Frankenstein. En outre, l’éclectisme du pouvoir novateur des impédances régulières n’est pas sans évoquer les échauffourées entre syndicalistes modérés et la bataille du 30 août 1851.

Quelques heures plus tard, au numéro trois de la rue des roses du mont, Jenny vivait pleinement son idylle avec John, qui lui faisait part de sa splendide collection de capsules de bière. Il n’en possédait pas moins de 2000 exemplaires, dont l’un avait été dédicacé par Charly, le célèbre clochard ivrogne qui rôdait autour de l’église du village. Celui-ci était traqué par la police depuis maintenant plus de trois ans, suite au viol successif de trois femmes, un homme et deux chiens. La rue de l’église était devenue un endroit dangereux, surtout le soir, car Charly, après 35 ans de vie dans la rue, avait développé cette étrange capacité à – comme les chats – voir dans la noirceur de la pénombre ; ce qui faisait de lui un adversaire redoutable. Heureusement pour la sécurité de la cité, la police entraînait depuis de longs mois un boxeur soviétique afin d’organiser un combat en duel contre Charly. Le match était prévu pour dans deux semaines, et tous dans le village espéraient la victoire de Wladimir, ce champion russe catégorie poids-lourd. Il ne mesurait qu’à peine un mètre vingt-cinq, mais pesait près de 150 kilos. Un solide gaillard, ne craignant ni la douleur ni la mort ni même le crissement de la craie sur un tableau !

L’athlète s’entraînait sur des punching-balls en peau de coude de zébu, péchés dans les plus grands lacs d’Irlande. Il avait acquis un style de combat très personnel, apprenant tous les jours plus de cinquante nouvelles techniques de combat issues des plus grands arts-martiaux nigérians comme le beach-volley, le sumo ou la charlotte au chocolat. Néanmoins, personne ne pouvait dire si cela allait être suffisant contre Charly, que l’alcool avait rendu quasi-invincible en détruisant ses cellules les plus faibles. « Le clodo », comme les gens l’appellent, était un véritable condensé vivant de la théorie de Darwin. Il était l’évolution personnifiée.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, il existait, outre cette fameuse capsule de bière, un lien particulier entre Jenny et Charly. En effet, Le clodo et elle avaient fréquenté la même classe de CM2 de mademoiselle Gérardo. Depuis cette époque, Jenny et Charly (mon petit sucre d’orge comme elle l’appelle) avaient été les meilleurs amis du monde. Mais Jenny n’avait jamais compris que l’amitié que Charly lui vouait était bien plus que ça. Ce dernier, d’une timidité maladive, n’avait jamais osé lui avouer ses sentiments, se contentant bon gré mal gré de cette solide amitié, et de quelques viols occasionnels.

L’histoire aurait pu s’achever ainsi, malheureusement Charly l’avait vue embrasser John. Sa jalousie prit alors le pas sur sa timidité et il imagina un plan monstrueux pour se venger. Il n’en voulait pas à Jenny, non. Comme on dit, l’amour rend aveugle – à ce propos, le père de Charly était sans nul doute tombé amoureux d’un Opinel puisque qu’il était devenu aveugle à cause de cela –. Charly en voulait plutôt à John, l’homme qui avait eu l’audace de séduire la femme de ses pensées. Le machiavélique clochard avait prévu un coup monté qui allait d’une part discridibiliser John aux yeux de Jenny et d’autre part briser la vie du séduisant capsulophile ; ainsi serait-il pleinement heureux, mais aussi, et probablement, rudement satisfactionné satisfacté.

Charly entama la journée qui allait être consacrée à la mise en œuvre de son stratagème par se laver, et c’était la première fois depuis plus de six mois ; c’est dire à quel point l’homme accordait de l’importance aux actes qu’il s’apprêtait à commettre. Il prit un bain dans la Visquouse, réputée pour ses propriétés dermiques et décapantes ; l’effet corrosif de l’eau provient – dit-t-on – des quantités abasourdissantes de mercure déversées dans la grise rivière par l’usine d’animutants* jouxtant le stade olympique.

Par la suite, il se rasa la barbe à l’aide d’un couteau en plastique dérobé à la cantine de la maternelle située à deux cents mètres de son carton résidentiel puis il sortit son couteau suisse de combat, astucieusement dissimulé sous son carton. Bien qu’il n’eût voulu s’en servir qu’en cas de guerre nucléaire ou bactériologique, le jeu en voulait la chandelle. Il parcourut ainsi armé la rue en quête d’une victime et repéra une charmante jeune femme à qui il déroba les habits et le sac à main avant de la violer, la tuer puis la violer. Fort de son larcin, il se vêtit des habits de la défunte puis se grima à l’aide de sa trousse de maquillage qui figurait dans son sac. Il arracha ensuite ses dents pourries, se laissa pousser les cheveux jusqu’au niveau des épaules puis se fit greffer de faux seins et se sectionna une partie du cerveau.

Tout était prêt : Charly était maintenant une femme splendide, même si sa peau portait encore les douloureuses cicatrices laissées par l’alcool. Mais diantre ! Qui est à blâmer ? Le clodo n’est assurément qu’une victime dans cette affaire. Abd-el-Amir Ben Souyaffa, le brave épicier, ne fait que son métier en vendant cette eau-de-vie d’asperge, quand-bien-même la couperait-il avec de l’alcool à brûler. De même, Jean-Denis Grobernart & Fils ne font que perpétuer de nobles traditions ancrées au sein d’une entreprise familiale en fabriquant cet alcool, quand-bien-même ils utiliseraient des asperges transgéniques, résistantes au taux pharamineusement élevé de radiations présentes dans l’air environnant. Non, vraiment, Charly ne pouvait en vouloir à personne, si ce n’est John… Le pauvre homme n’y était pour rien dans l’aspect répugnant du clodo, mais il fallait un coupable.

D’ailleurs, Charly était en route pour le domicile de John, mais ce n’est qu’une fois arrivé devant chez lui qu’il sonna à la porte de sa maison. Lorsqu’il ouvrit la porte, John était en robe de chambre ; sans doute sortait-il de sa salle de bains. Une forte odeur d’eau de colonne et de dentifrice s’émanait de son être, renforçant ainsi la croyance de croire qu’il sortait de sa salle de bains. En outre, il était fraîchement rasé.

Charly prit une intonation de voix féminine et dit « Salut John ! ». Ce dernier fut instantanément subjugué par la beauté physique de son invité(e).

« Mais… On se connaît ? », demanda-t-il, les yeux éblouis par tant de radiance.

« Non, pas vraiment, mais je voulais vous voir…

– Ah ouais ? C’est über cool. Mais dans quel but ?

– Dans un but de fait que je vous trouve beau et que je souhaiterais entreprendre avec vous une relation sexuelle sérieuse.

– Ah ouais, carrément. Lol. Mais… En fait, je sors déjà avec Jenny.

– Pas du tout, je l’ai vue tout à l’heure avec Charles-Victorien du Houpet !

– Quoi ‽ Avec Charly le clodo ? Mais comment…?

– Oups… Je n’aurais peut-être pas dû…

– Si, vous avez bien fait. Trop la loose, j’vais devoir me mettre en statut célibataire sur Facebook… J’vais m’taper la teu-hon grave.

– Pouvons-nous faire l’amour maintenant ?

– Hum… Bah du coup, ouais. Mais j’espère que cette relation est sérieuse. Je souhaite me marier à 25 ans.

– Mais John… Vous en avez 46…

– Comment ‽ Ah… Oui… C’est exact. Bon, bah on va s’grouiller alors ! »

John commença donc à se déshabiller, sans se douter une seule seconde qu’il avait en face de lui, sous cette apparence divinement féminine, son pire ennemi. C’est à ce moment précis que Charly mit à exécution le plan diabolique qu’il avait prévu. À l’aide d’une étoile de ninja télescopique à vision nocturne qu’il lança à vive allure vers John, il lui sectionna l’entrejambe. Le malheureux s’écroula par terre, se tordouillant de douleur dans une flaque de sang. Charly, le sourire aux lèvres, quitta la maison de John, dardant hautainement sur sa victime un index vengeur et, dans un élan philosophique, proclama ce mot qui restera à jamais dans l’histoire : « na ! ».

CHAPITRE 2 – FRED

Charly accomplissait sa sortie domiciliatrice de chez John quand c’est alors que soudain, un événement d’une singularité hors du commun se surgit à lui : une soucoupe volante en forme de vaisseau spatial se posa devant lui ! Il s’agissait en effectivement d’une race extraterrestre ! Charly n’en revint pas ses yeux. Une forte lueur illumina tout le quartier des mouettes (le quartier des mouettes est l’endroit où résidait John ; son nom lui vient du fait que lors des fondations de la route principale du quartier, une mouette s’échoua dans le frais bitume et resta figée dans la route, immortalisée à tout jamais). De peur, Charly venait d’uriner allègrement sur sa minijupe quand ce qui semblait être la porte du vaisseau s’ouvrit. Un être surnaturel en descendit et sa description physique ne ferait que traumatiser les plus sensibles d’entre vous. Pour aperçu, je ne puis révéler que l’un des caractères les plus déconcertants de la créature : celle-ci possédait deux bras !

Comme vous pourrez aisément le deviner, Charly était en parfait état de choc et ne pouvait dès lors plus bouger ; aussi l’extraterrestre s’avança de lui puis lui saisit par la main avant d’annoncer : « Charly… Veuillez me suivre. ».

Charly, époustoussé par le fait que l’extraterrestre parlait sa langue et que, de plus, il connaissait son nom, le suivit dans son somptueux vaisseau spatial dont la forme n’était pas sans rappeler un objet dont Charly était loin de soupçonner l’existence. Il pénétra alors le vaisseau, en compagnie de cet étrange personnage qui lui dit alors s’appeler Kzfgpj (cela se prononce plus mal que ça ne s’écrit).

Il le fit s’asseoir dans une sorte de fauteuil en plomb puis lui raconta la raison de sa venue à Saint Ronald des Monts :

« Je viens du futur, d’une autre planète et d’une autre dimension. Je viens de l’an 14 562. À cette époque, vous êtes le président du Monde. Vous avez été élu en 6 549, suite aux premières élections mondiales sur Terre puis vous avez envahi la galaxie entière avec vos hordes de cavaliers et de chalutiers. À cause de vous, mon peuple a été anéanti après des millénaires de progrès scientifiques. »

« Je… Je suis désolé… », bredouilla Charly avant de promettre que s’il devenait président de l’univers, il n’attaquerait pas le peuple de Kzfgpj. Mais la créature arrivait bien trop tard : Charly avait déjà tous les plans en tête et conquerrait l’univers quoi qu’il advienne.

Kzfgpj redéposa Charly devant son domicile cartonné puis lui lança amicalement, avant de repartir « Charly ! Appelle-moi Kzf ! ». Ce furent ses derniers mots. Alors qu’il prenait son envol vers sa galaxie, sa soucoupe heurta un arbre et s’écrasa quelques mètres plus loin.

Devant son carton, Charly, à sa grande surprise, trouva Jenny qui l’attendait. Son cœur battait la chamade ; ou plutôt, il semblait battre l’air du Petit bonhomme en mousse, sur un rythme techno.

« Charly… », entama-t-elle, «… savais-tu que John ?

– Oh… C’est affreux !

– Oui. Il m’a dit qu’il s’était fait démunir de ses fonctions reproductrices.

– Oh ! Mais que vas-tu faire Jenny ?

– Je pense que je vais tomber d’amour pour Fred.

– Fred ? Frédéric Splinter ? Cet être mi-homme mi-ragondin des mers qui erre dans les égouts à la recherche de nouveaux adversaires toujours plus forts afin de lutter contre le crime, le SIDA et la misère humaine qui règnent sur cette planète emplie de désolation subsidiaire ?

– Oui, c’est bien de lui qu’il s’agite.

– Mais Jenny, je croyais que tu aurais compris la leçon. Ce n’est pas un homme comme ça qu’il te faut !

– Comment ça, « comme ça » ?

– Bah… Je ne sais pas… Beau ? Enfin je veux dire… rends-toi compte ! Je suis l’homme qu’il te faut. Je peux tout t’offrir ! Dis-moi ce que tu veux et j’irai te le voler. Dis-moi oui, je t’en prie ! Moi qui caressais l’espoir de pouvoir te violenter toute la nuit…

– Oh… Charly… Je croyais que tu avais compris qu’il n’y aurait jamais rien entre nous.

– Nooooon ! »

Charly se retourna, puis entama une partie de belote basque avec un écureuil.

« Charly, reprit Jenny, j’aimerais te poser une question… Penses-tu que Fred pense que je pense qu’il est beau ?

– Oui, mais si il pense que tu penses qu’il pense que tu penses qu’il est beau, alors il pourra penser que tu penses qu’il pense que tu penses qu’il pense que tu es belle.

– Tu penses ?

– Oui, mais de là peut s’enchaîner.

– Tu as raison… »

Jenny s’éloigna, abandonnant Charly à sa tristesse. Ce dernier, désespéré, décida de s’adonner aux lourdement condamnés crimes de haine. Tel un membre farouche du Ku Klux Klan, le clochard décida de broyer du Noir ainsi que de leur enseigner l’ouverture d’esprit, à grands coups de hache. Ces actes racistes ne firent qu’aggraver la longue liste d’accusations qui pesait sur lui et, apprenant la nouvelle, le terrible Wladimir reprit son entraînement de plus belle.

Loin de s’en soucier, malgré l’amitié qui l’unissait au SDF, Jenny décida de partir à la rencontre de Fred qui rôdait en plein fond des égouts, tuant des animaux douteux afin de se sustenter. Malheureusement ce n’est pas chose aisée dans les conditions extrêmes qui règnent dans ce genre d’endroit. En effet, Fred a déjà attrapé au cours de sa vie plusieurs maladies, dont trois mortelles. Nonobstant ces contraintes hygiéniques, l’avantage de ce style de vie est qu’il dispose d’un immense réseau souterrain et peut ainsi se mouvoir d’un point à l’autre de Saint Ronald des Monts avec une facilité déconcertante. Il s’était d’ailleurs servi de ce système à de nombreuses occasions dans un but peu glorifiant. Il avait en effet un fâcheux penchant au vol de stylo bille et en avait dérobé près de 658 473 en l’espace de trente-cinq ans ; ce qui représente une moyenne de plus de cinquante stylos dérobés pas jour ! Il les stockait dans les conduits d’aération du plus important centre commercial de la ville, ce qui provoqua le décès par asphyxie de cent vingt-douze personnes, principalement issues du personnel du magasin.

Depuis que Fred avait commencé cette mystérieuse collection, une forte pénurie de stylos ébranlait toute la ville et ceux-ci se vendaient à prix d’or, atteignant les 63 dollars ronaldmontais l’unité. Malgré cela, Jenny savait que Fred avait un bon fond et qu’il n’avait jamais souhaité tuer ces 123 personnes. Il n’avait pas non plus voulu tuer les parents de Jenny en déversant vingt-cinq litres d’acide chlorhydrique concentré à douze moles par litre sur eux. Il a bien essayé de le faire comprendre au juge, d’ailleurs, mais celui-ci le condamna malgré tout à quinze ans de réclusion criminelle à perpétuité avec sursis.

Pour pénétrer l’enceinte des égouts, il suffisait à Jenny de s’introduire dans un caniveau de treize centimètres de hauteur. C’était quelque chose d’assez délicat, mais Jenny avait étudié les arts ésotériques du contorsionnisme et parvenait à se déboîter l’épaule afin d’obtenir une taille la plus fine possible et ainsi se rendre au domicile de Fred. La véritable difficulté vient plutôt du fait que les égouts sont immenses ! Comment retrouver un homme dans 853 kilomètres de dédales obscurs ? C’était extrêmement difficile, tant et si bien que chaque fois que la belle rendait visite à son ami, elle passait des jours entiers à le chercher.

De plus, les conditions de vie sont très dures et Jenny était contrainte de se nourrir de vers et de boire l’eau formée par la condensation des égouts. Elle devait également faire face aux dangers égoutaux en luttant contre les chiens de combat, les guppys et les alligators géants abandonnés ici par leurs maîtres.

CHAPITRE 3 – PANIQUE DANS LES ÉGOUTS

Cela faisait maintenant trois jours que Jenny marchait dans ce fantastique cheminement souterrain ; véritable autoroute de découverte aussi sublime que diverse. Il y avait dans ces égouts plus de 150 espèces animales vivantes, certaines remontant même à de lointaines heures de l’histoire de la Terre. Il y avait là des cœlacanthes et des plésiosaures en parfait état de fonctionnement qui naviguaient dans les eaux troubles et peu profondes des canalisations de la ville. Cette faune parvenait à subsister en se nourrissant des déchets, au volume considérable, produit par les habitants de la ville. En fait, il est important de préciser à quel point Saint Ronald des monts est une ville moderne. L’ancien maire, Jérôme Boam, avait fait installer dans la cité un système de tout-à-l’égout assez novateur, puisqu’effectivement, TOUT allait à l’égout, y comprit les déchets domestiques. C’est grâce à cet amoncellement souterrain de détritus que d’aussi fantastiques créatures purent se développer.

Pour en revenir à notre héroïne, celle-ci, au cours de ses pérégrinations, découvrit quelque-chose de parfaitement stuperprenant : devant elle se dressait une immense cavité dans laquelle se jonchaient des dizaines de corps humanoïdes, tous de nationalité féminine. Pour Jenny, cela ne fit aucun doute qu’il s’agissait de toutes les femmes qui étaient venues à la rencontre de Fred. Il est vrai que Frédéric est le semi-homme semi-ragondin des mers le plus attrayant physiquement de l’intégralité globale de Saint Ronald des Monts et sa proche banlieue. Aussi cela lui attirait-il des visites fréquentes et nombreuses. Beaucoup de femmes désiraient sortir avec Splinter qui était, de fait, l’un des hommes les plus courtisés de la ville. Cependant, peu de gens savent que seule Jenny pouvait avoir sa chance avec lui, étant la seule femme pouvant approcher un ragondin des mers !

Le ragondin des mers est une espèce animale ultrêmement agressive et attaque toute forme vivante se trouvant à moins de vingt-deux centimètres de lui. Mais pour Jenny, c’était différent. Dans sa plus tendre enfance, elle avait recueilli un bébé ragondin des mers, s’occupant de lui comme s’il était son propre fils, lui donnant le sein à onze ans et lui lisant des histoires le soir. Malheureusement, Scott-Ryan (c’est ainsi qu’il se prénommait) mourut le 31 février 2004 des suites d’un arrêt cardiaque dû à une intoxication élémentaire au cyanure. Quelqu’un l’avait assassiné, et personne n’avait jamais pu retrouver le coupable ! Depuis cette époque de contact intense avec un ragondin des mers, Jenny pouvait approcher n’importe quel ragondin des mers sans risque de se faire attaquer par un ragondin des mers.

Ce ne fut qu’au bout de vingt-sept jours de marche que Jenny atteignit, épuisée, le renfoncement dans lequel vivait Fred. Il s’agissait d’une sorte de gouffre de 800 mètres de profondeur dont l’accès se faisait par un ascenseur construit avec des dents de rats par Fred lui-même. Quelle ne fut pas la joie de Jenny lorsqu’elle eut eu enfin aperçu le lieu de résidence de l’homme qu’elle aimait ! C’était une sorte de manoir style mérovingien du XIIe siècle construit à l’intérieur du boyau éventré d’une canalisation à l’abandon. Il y avait dans le salon une splendide table ornée de chaises puis un lit à balles d’haquin. Dans la cuisine se trouvait un superbe réfrigidaire, une télévision avec parabole satellite et un écran plasma de six pouces ¾, soit près de cinq mètres de diamètre. Splinter était équipé de la pointe de la haute-technologie. L’électricité était fournie par l’alimentation électrique de deux piles de huit volts couplées sur un transistor à effet de champ relié à la masse d’un amplificateur opérationnel à haute fréquence, le tout contrôlé par l’un des systèmes asservis les plus puissants de Saint Ronald des Monts.

Frédéric, dans sa jeunesse, avait étudié les phénomènes électriques et en connaissait les moindres détails et autres soubresauts imperturbables. Malheureusement, quelque chose manquait cruellement à ce somptueux tuyau : son propriétaire. En effet, Fred n’était pas là ! Nulle trace du myocastoriné humanoïde. Jenny, pleine de désappointure décida de l’attendre, s’allongeant dans son lit qui dégageait une puissante odeur de rongeur.

La nuit venait de tomber, mais dans ces sinistres égouts sans fenêtre sur le monde extérieur, Jenny ne put même pas le savoir, ce qui la fit entrer dans une grande phase de tristesse absolue et d’aigreur envers le monde, ses habitants, et toutes ces choses futiles pour lesquelles Jenny accordait trop d’importance.

Ce fut alors que soudain un étrange bruit se laissa entendre. C’était le bruit que fait une rotule qui se disloque. Jenny le savait… Quelqu’un était sur le point d’être en train d’arriver ! Espérément, cette personne pouvait être Fred, mais de toutes les créatures vivant dans les égouts, il en existait certaines dont le patronyme évoquait l’avènement et la désolation. Jenny, tremblante, priait pour que ce fusse Fred, mais Jenny priait également pour la paix dans le monde et la légalisation de la benzédrine.

Soudainement, un bruitage d’ascenseur raisonna dans le boyau de plastique et de cuivre. La cage de l’ascenseur s’élevait du sol, se dirigeant vers la direction de Jenny. Jamais elle n’eut imaginé rencontrer pareille créature ! Il s’agissait d’une espèce mutante de salamandre qui mesurait près de deux mètres de haut et avait le cuir de la peau rouge, tacheté de taches noires. En apercevant Jenny, la pauvre bête s’exclama un cri strident proche du peupeutement du pic-vert et sorti de sa membrane supérieure gauche un splendide katana, probablement daté de l’ère Meiji. Il s’élança sur Jenny, la rage et son katana au poing ! Heureusement, Jenny avait appris lors de son service militaire en Bengalie à se battre à l’aide d’ustensiles divers et inappropriés pour un simple être humain normal au combat. Elle avait ainsi acquis la faculté de se battre avec des objets aussi divers qu’un fer à repasser, une pince à linge ou même une peluche à l’effigie de Robert Hue.

Elle saisit alors quasi-instantanément un décapsuleur gisant sur le canapé et le pointa dans la direction de la salamandre. Sentant qu’elle ne faisait pas le poids, cette dernière déposa son katana à ses pieds et se présenta à Jenny, un genou au sol :

« Humprøß drœmgräst hamgrîftröm.

– Comment ?, s’étonna-t-elle… Que dites-vous ?

– Hämè hµï krömstëad brämküirt ddämer pr¢stogär hamerkipö. Deharmist ghtë dü-plrim strä himpograft, hamerni-kömst ! Brïstm nörhgh grämstgr hyuyup ästr ? Rørmrt ? Nötrømï dastäyef hüm-prømgrast dobidaïev diy härgh ströb natigö-riogichtistrama grïøkstdayevinovotlatch vtä himpü namie straför øks damaniegoviatch biekst stramgomistch hampiboriov schtäto-mi nimeru kanishi no maeni mira desu ka mi niyami homoro katase dera hinimiwa no sensani hitiro fröstobi… Hastaboriovitch sta krimstömark bislk kafør nøömopopoplista-chiniwano kakaramalarata hüm stosto bi. Hakanata dobidospöaer aoui biy spürsk paospao freifrei dodo gato mopopt nadrefi-tretyupiuo quiquiqui jukio malnex qioliopo qbidp momo poprt nasxki scrabaki popularis noma dearum strambariev. »

Une voix se fit surgir telle la piste DTS Surround TrueHD d’une cassette Betamax : « Ah, ah, ah ! Excusez-le. C’est Mario, il est Italien et ne parle pas français ! Hrögrpy därft Märîø ! ». C’était lui ! Fred venait d’arriver.

« Ah ! Fredy ! C’est moi, Jenny !

– Ah ! Cette chère Jenny ! Comment est-ce que tu vas-tu ?

– Bien, merci ! Et toi ?

– Eh bien, tu sais, ça ne va pas si bien que ça… Je reviens de chez le médecin, et ce sacripant m’a diagnostiqué un cancer mortel du col de l’utérus. Je vais mourir dans quelques mois… Mais tu me connais, j’essaie de prendre ça avec philosophie ! Enfin, parlons plutôt de toi ! Comment vas-tu ?

– Bien, merci ! Et toi ?

– Euh… Bah… Ah, si ! J’ai malheureusement perdu mon bon pour une pizza gratuite chez les frères Dugras en revenant de chez le médecin.

– Quoi ‽ Tu as perdu ton bon ? Oh… Je suis vraiment désolée. Je n’aurais peut-être pas dû te demander comment tu vas-tu…

– Non, non, ce n’est rien… Eh, eh, ça me fait penser à ce truc, là, en 1732.

– Ah oui ! Lors d’une escale du bateau dans une crique des côtes Ivoiriennes, au large de Sao Polo, c’est ça ?

– Ah, ah, ah ! Oui ! Tu te souviens de ce petit chat à deux têtes ? Comment s’appelait-il déjà ?

– Alfredo ?

– Non, ça se terminait par un T…

– Jean-Philippe ?

– Oui ! Voilà, c’est ça ! Il était mignon, tu ne trouves pas ?

– Oui, je ne trouve pas, et toi ?

– Moi non plus je trouve.

– Ah d’accord.

– Écoute Fred… Je suis venu ici car je désire ardemment.

– Très bien, je t’écoute.

– Fred, je désire ardemment.

– Oh ! Nom d’une anémone de mer !

– Oui.

– Eh bien… Je ne sais pas vraiment quoi te dire car hier soir j’ai effectué la rencontre de Borissette, une charmante ragondine des mers…

– Je… Je comprends…

– Jenny, je suis désolé…

– Mais qu’est-ce que j’en ai rien à faire de tes excuses ‽

– Je sais bien, Jenny. Mais comprends moi, je ne pouvais pas t’attendre. Pas après toutes ces années.

– Mais j’ai parcouru pour venir te voir, et tu es déjà pris d’amour pour quelqu’une d’autre que moi…

– Je sais bien, mais tu sais, il aurait été plus simple de m’appeler.

– Tu as le téléphone ? Dans les égouts ?

– Non, non… Juste de m’appeler… J’aurais entendu. Mon manoir se trouve juste en dessous de ta salle de bain.

– Ah oui ?

– Je te dis oui, tu sais.

– Bien… Je vais donc te laisser désormais. Connais-tu un chemin rapide pour quitter ton domicile ?

– Tout à fait. Passe par cette trappe. Elle mène dans ta chambre.

– D’accord. Merci tout à fait.

– De rien. À bientôt j’espère !

– Oui… »

Jenny s’extirpa du domicile de Fred, le cœur brisé en morceaux. Elle se remémora alors tous les instants magiques passés avec Fred puis se mit à pleurer, assise sur son lit de chambre. Combien de fois aurait-elle à souffrir avant de trouver le bonheur ? La pauvre Jenny, toujours en quête d’amour, ne saurait se résigner, même après ces échecs successifs. Aussi décida-t-elle de se faire mentalement l’inventaire des hommes qu’elle avait connus afin de décider quel serait le nouvel élu de son cœur. Il fallait qu’elle trouve de qui elle allait devoir tomber amoureuse.

CHAPITRE 4 – BAD BOY BILLY

Durant ce temps, Charly poursuivait son entraînement, accomplissant d’incroyables exercices de renforcement physique. Il pratiquait notamment le soulevage haltérophile de poids pouvant peser jusqu’à plusieurs kilogrammes chacun. En outre, et d’aucune manière que ce fusse, le nombre avéré de musculature produite par son organisme dépendait de toute sorte de nombreux facteurs, dont l’exponentialité de la plupart d’entre eux laissait à révéler un sens caché de l’intégrité référentielle et sous-cutanée d’une part quasi-importante de certains atouts majeurs de la fin du dix-huitième siècle de notre ère. Charly, en ces quelques jours d’entraînement sur-intensif avait vu son poids plus que doublé. Il pesait à présent plus de 175 kilogrammes Celsius. Il était bien, se sentait dans une forme olympique.

L’heure du combat approchait inéluctablement et de façon rapide, sûre et probable, suivant une loi de probabilité du type khi-deux de paramètre alpha carré. Le maire du village, pour l’occasion, avait érigé un ring en marbre d’une circonférence de 43 mètres carrés puis s’était fait un piercing sur l’arcade souricière gauche et fait tatouer une croix gammée sur le front.

Charly, pour son entraînement, se battait contre de terribles monstres peuplant la forêt de Saint Ronald des Monts. Il affrontait des lynx, des sangliers, des méduses, des chevreuils et des scarabées. C’est d’ailleurs au cours d’une lutte acharnée contre le chef des écureuils, Edmond le Rouge, que Charly se fit casser un bras et eut de douloureux dommages à la colonne verticale.

Au même instant, à deux jours du combat fatidique, Jenny venait enfin de trouver l’homme qu’il lui fallait ! Comment avait-elle pu l’oublier ‽ Il était si beau, si intelligent… Il s’appelait Guillaume Martin, dit Bad Boy Billy. Il habitait un ranch à l’ouest de Saint Ronald des Monts, aussi décida-t-elle Jenny de s’y rendre à son ranch de Guillaume. Qui plus est, Jenny atteint le ranch au bout de trois heures de marche à travers le désert. Exténuée, mais heureuse, elle contempla l’ensigne du ranch sur lequel figuraient les mots « Welcome dans le Ranch de Billy » écrit en lettres d’or, sur un fond safran. Au loin, un homme chevauchait fièrement un taureau, un chapeau sur la tête. C’était lui ! C’était Guillaume !

« Eh ! Salut Billy, claironna Jenny.

– My god ! Nom d’un p’tit bonhomme en bois ! It’s Jenny ! How ça va Jenny ?

– Ça va bien, et toi ?

– Je vais very bien ! C’est really cool de te voir ici !

– Merci ! C’est à toi tout ce troupeau ? (Un taureau flagellant se dressait autour de cinq cadavres de vaches atrocement mutilés dont un bougeait encore)

– Eh, eh ! Yes ! C’est à me ! Le fameux troupeau of Billy ! Really funky.

– C’est génial !

– Yeah ! Mais entre donc to take a cup of tea !

– Oui, pas de problème. »

Jenny, sourire aux lèvres, et Guillaume entrèrent dans l’usine désaffectée qui servait à Billy de ranch depuis maintenant 25 ans. Il avait installé un système pour avoir l’eau courante en collectant la vapeur des cuves de méthane et en la mêlant à du liquide de refroidissement, volé dans un garage en 1981. Il ramenait ainsi la vapeur à une température de 35 degrés, ce qui la rendait liquide. Là, Guillaume la faisait bouillir puis refroidir afin d’éviter les virus qui grouillaient dans ce genre d’endroit. Après cela, cette eau récupérée était tout à fait potable, lorsque l’on a l’habitude. Billy tendit à Jenny une tasse de thé, concocté selon une recette très personnelle. Il avait en effet le secret d’un délicieux thé aromatisé à la vache. L’idée de cette décoction lui était venue après l’épidémie qui avait décimé la moitié de son troupeau ; il semblerait que l’alimentation des bovins leur ait causée des maladies incroyables. Billy leur donnait de la viande crue et du souffre trouvé derrière une gigantesque armoire placée dans les contre-fonds de l’usine. Cette armoire renfermait en son contenu des centaines de clés dont l’une d’entre elles servait probablement à actionner l’ouverture du mystérieux coffre-fort se situant au cinquième sous-sol de la fabrique.

Billy incinérait les cadavres de ses vaches puis laissait infuser les cendres dans le sang des bovidés ; à la suite de quoi il plaçait délicatement ces cendres dans des sachets de thé, donnant ainsi un subtil goût de ruminant à cette boisson qu’il trouvait si fade. Jenny, la tasse à la main, interrogea Guillaume sur ce fameux coffre du cinquième sous-sol. Il lui expliqua qu’il s’agissait d’un coffre-fort d’une taille immense ! Il mesurait près de cinq mètres de hauteur sur trois mètres de haut. De plus, un sigle intriguait Billy : un crâne humanoïde figurait sur la porte de la façade avant du coffre. Ce symbole était également celui du célèbre Joly Roger, le drapeau des pirates. Guillaume en conclut que le coffre renfermait certainement un trésor inestimable et que les inscriptions « butane lourd et uranium appauvri » n’étaient là que pour faire fuir les aventuriers.

Jenny, convaincue, décida d’essayer toutes les clés afin d’ouvrir ce coffre et peut-être ainsi accéder à la fortune. Les deux amis, fraîchement retrouvés, passèrent l’après-midi entière à essayer les différentes clefs et clés qu’ils avaient à leur disposition. Enfin, au cours de la soirée, un doux cliquetis de serrure qui s’ouvre se fit entendre ! Ça y est, ils avaient trouvé la bonne clé. C’est avec beaucoup d’émotion qu’ils s’apprêtaient à ouvrir le coffre-fort. Billy se mit à tourner l’énorme poignée quand Jenny l’arrêta…

« Billy… », dit-elle, « Avant que nous ne découvrions le fantastique contenu – ou pas – de ce coffre, j’aimerais te dire après toutes ces années que nous avons passées ensemble au centre de formation des jeunes travailleurs handicapés que…. Que je t’aime ! »

L’apprenti cow-boy rougit, ferma les yeux et embrassa Jenny pour toute réponse… Ils se regardèrent ensuite dans les yeux quand Jenny comprit que c’était le bon ! Ils allaient désormais vivre heureux à tout jamais. Heureux, et peut-être riches ! Billy s’était relevé et se préparait à tirer la lourde porte de plomb.

Par chance, celle-ci s’ouvrit du premier essai. Ce qu’ils découvrirent alors était tout simplement magnifique ! Il y avait là des centaines de tubes d’acier, contenant sans doute des pépites d’or ou de sublimes diamants ! Sur l’une des étagères se trouvaient des masques à gaz et des combinaisons antinucléaires. Billy saisit l’un de tubes et l’ouvrit. Une vapeur de gaz lourd s’en émana et caressa le visage buriné de Guillaume, qui se mit instantanément à se dessécher, puis il perdit toutes ses dents. Son teint devint vert et sa peau s’effrita.

« It’s un piège of the pirates ! », hurla-t-il. Il ouvrit alors un second tube… « Victory !!! ». Il sortit du tube des pépites d’un vert luminescent. « C’est de l’or ! », s’écria-t-il. Jenny s’expouffa de joie ! Ils allaient vivre heureux, et à présent riches ! Mais ils ne purent pas profiter longtemps de leur victoire car ils s’écroulèrent dans un profond coma.

Par bonheur, depuis l’ablation de deux de ses poumons, Billy était sous assistance médicale, et son état de santé était communiqué en temps réel à l’hôpital de Saint Ronald des Monts; aussi les pompiers étaient-ils déjà en route pour le ranch.


CHAPITRE 5 – CHARLY VS WLADIMIR

Le lendemain, tout le village était à la fête : le grand jour était venu ! Charly allait enfin affronter le terrible Wladimir qui venait d’arriver par avion à l’aéroport de Saint Ronald des Monts. Tous les habitants du village étaient réunis autour de l’imposant ring en marbre érigé au pied de l’église sainte Radegonde. Le maire allait être l’arbitre de cette rencontre, même si la notion d’arbitre ne signifiait pas grand-chose dans ce contexte. En effet, ce combat allait être sans merci ! Tous les coups seraient permis, et la lutte irait jusqu’à la mort de l’un des deux adversaires. Bien évidemment, tous dans le village souhaitaient la mort de Charly. Tous sauf Jenny, qui n’allait malheureusement pas être là pour le soutenir, luttant entre la vie et la mort à l’hôpital des Trépassés.

Charly était déjà sur le ring, dormant dessus depuis maintenant trois jours ; la fraîcheur du marbre étant la bienvenue pendant cette vague de chaleur estivale. Wladimir quant à lui était sur le point d’arriver. Son hélicoptère tournoyait au-dessus de la place depuis maintenant dix bonnes minutes. Il lançait à Charly des insultes en slovène à l’aide d’un mégaphone. Torse nu, il exhibait sa puissante musculature, abondamment huilée. Déjà impressionnant, l’athlète culturiste n’avait pas lésiné sur les effets et arborait un superbe short fuchsia dont l’entrejambe avait été conforté par un ajout de coton en laine de lamantin. De l’hélicoptère stationnaire, le lutteur lançait de pleins sacs de tracts annonçant d’ores et déjà sa victoire qu’il prenait pour acquise. Le maire admirait le spectacle en se lissant les moustaches, un franc sourire aux lèvres, affirmant la confiance qu’il portait au boxeur oriental.

L’hélicoptère descendait peu à peu vers ce qui allait être le tombeau de l’un des deux combattants quand Wladimir lança de l’appareil une grande échelle dont les pieds s’écrasèrent sur le marbre avec fracas. Les spectateurs observèrent alors un silence religieux : le combat allait commencer ! Le champion entamait alors sa descente quand Charly, impatient de commencer le combat, se mit, contre toute attente, à grimper frénétiquement à l’échelle. En raison du poids de ces deux mastodontes réunis, trop important pour le frêle hélicoptère, celui-ci s’écrasa dans la foule, tuant une dizaine de personnes et faisant près de cinquante blessés.

Les deux lutteurs étaient heureusement encore en vie et venaient de remonter sur l’arène de combat. C’est Charly qui frappa le premier, manquant sa cible à cause de l’alcool qu’il avait absorbé. Wladimir tenta alors un coup mortel dans le visage de Charly, mais son bras était trop court. C’était encore manqué ! Le clodo infligea à son adversaire un coup de pied dans la rotule, pliant douloureusement la jambe de Wladimir. Il était à Terre… Il en profita alors pour mordre le tibia de Charly avec une violence incroyable, arrachant des lambeaux de chair. Le ronaldmontais se vidait de son sang, mais cela ne l’empêcha pas de sortir de sa poche droite son fidèle couteau suisse de combat qu’il planta avec mépris dans l’artère jugulaire gauche de son adversaire. Irrité, ce dernier décida d’employer tout son arsenal et se saisit de sa mitraillette de poche avec laquelle il tira sur Charly, visant les yeux. Mais l’ivrogne était coriace et décida d’utiliser à nouveau la technique qui lui avait permis de vaincre John. Il sorti de sa poche gauche un shuriken qu’il lança à grande vitesse vers l’entrejambe de Wladimir. Le public était dans un état de transe, tellement le suspens était à son comble. Mieux : la scène était retransmise en direct dans tout le pays. Si ce combat était un feuilleton, il s’agirait assurément du bon moment pour diffuser une page de pub.


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L’étoile métallique fendait l’air à une vitesse folle quand Wladimir brandit un bouclier devant lui, renvoyant ainsi le shuriken vers Charly… Au dernier moment, le projectile dévia de sa trajectoire et le clochard fut sauvé. Sauvé, mais passablement énervé. Il devait en finir le plus vite possible et sortit de sa poche intérieure une hache immense qu’il abattit sur Wladimir, lui pourfendant le crâne !

C’était fini : Charly avait gagné ! La foule en délire scandait le nom du vainqueur après l’avoir tant conspué. Heureux mais épuisé, celui-ci, laissa choir sa hache et leva les bras en signe de victoire, provoquant un tonnerre d’applaudissements. Le maire se hissa sur le ring puis s’approcha de Charly, lui serrant la main, l’air sournois. L’homme politique voulait la défaite de Charly, coûte que coûte. Il n’en était hors de question que Charly remporte ce combat !

Faisant signe aux spectateurs de se calmer, le maire tendit son poing vers Charly, le pouce tendu, horizontalement. Là, d’une rotation du poignet, il tourna son pouce vers le sol. Un porte-avions surgit alors, et des dizaines d’avions larguèrent des parachutistes qui vinrent se poser sur le ring. Les militaires, tous armés de bazookas, tirèrent sur Charly qui s’écroula, mort…


CHAPITRE 6 – GÉRARD-SIMON

Gérard-Simon était médecin en chef de l’hôpital des Trépassés et était également le principal coordinateur de la section des grands brûlés, des accidentés de la route et des « enfants du nucléaire » ; section dans laquelle étaient hospitalisés Jenny et Billy. C’était donc lui qui était chargé de leur apporter les soins que réclamait leur état. Ils s’étaient tous deux exposés à des produits hautement radioactifs, et le bilan était lourd. Billy, pour sa part, était malheureusement condamné, et d’après les derniers pronostics, il ne lui restait plus que trente-sept heures à vivre ! Il n’y avait malheureusement plus rien à faire pour le sauver, et pourtant, Gérard-Simon, ou « la folle » comme l’appelaient ses proches, avait tenté ces dernières vingt-quatre heures une chimiothérapie, un pontage coronarien et une saignée, mais rien n’avait pu le sauver.

Le cas de Jenny quant à lui était beaucoup plus rassurant, car celle-ci était restée bien moins exposée aux radiations que son compagnon. De plus, sa constitution génétique très particulière lui offrait une résistance aux phénomènes nucléaires très importante. Néanmoins, suite à la nouvelle loi sur la médecine préventive, Gérard-Simon allait sans doute devoir amputer Jenny d’au moins douze centimètres. Pour ce qui est des cheveux que la belle avait perdu, ceux-ci avaient déjà presque tous repoussés grâce à une astucieuse greffe de moelle épinière au niveau du cuir chevelu. Nonobstant ces efforts, Jenny était toujours dans le coma, mais un coma très proche du rêve. Elle avait d’ailleurs prononcé à plusieurs reprises le nom « Sigismond ».

Gérard-Simon, empli de talents, était également fin psychologue et avait compris que la jeune fille, fragile, ne sortirait pas de son état végétatif sans une intervention extérieure forte. Malheureusement, il semblait évident qu’il ne pourrait pas compter sur le quasi feu cow-boy pour jouer ce rôle. Pire : la fiche de mademoiselle Studerbäckerstein indiquait que celle-ci était orpheline et même, ne possédait plus aucune famille. Même Lucassine, sa meilleure amie, semblait avoir disparu. La seule piste qu’avait le médecin était ce mystérieux Sigismond. C’était décidé : Gérard-Simon allait partir à la recherche de cet homme. Il devait sauver Jenny ! De plus, Sigismond est un prénom masculin, ce qui n’est pas pour déplaire à Gérard-Simon dont la sexualité reste souvent plus qu’ambiguë.

Le médecin, malgré ses nombreux talents, n’était pas enquêteur et il était bien difficile de savoir par où commencer tant Sigismond était un prénom répandu. Cependant, en tant que fanatique de la série Inspecteur Derrick, Gérard-Simon savait que pour trouver quelqu’un ou quelque chose, il fallait dans un premier temps obtenir des indices ! Il se saisit donc du sac à main de Jenny dans lequel il allait probablement trouver une multitude d’indices plus incroyables les uns que les autres ! Il déballa alors le contenu du sac sur le sol moite de l’hôpital et y découvrit un tube de rouge à lèvres, un portefeuille (dont un technicien de surface s’empara avant de prendre la fuite), un morceau de papier contenant des inscriptions manuscrites, un téléphone portable mobile cellulaire, un raton laveur empaillé, un paquebot soviétique et enfin une bombe lacrymogène.

Le morceau de papier contenant des inscriptions manuscrites allait certainement se révéler d’une grande utilité, mais à son grand regret, Gérard-Simon ne disposait pas de cette faculté dont seuls les gens intellectuellement aisés disposent : il ne savait pas lire ! Il demanda donc secours à un technicien de surface qui rôdait dans le secteur. Ce dernier lui appris que ces inscriptions étaient en fait des chiffres évoquant un numéro de téléphone portable. À la suite de quoi le technicien remit à Gérard-Simon le portefeuille de Jenny qui ne contenait qu’une carte d’abonnement au fan club de DJ Pure Platine ainsi que 35 centimes de dollars.

Le médecin-chef, toujours en quête d’indices, ouvrit le portefeuille de Jenny et y trouva une carte d’abonnement au fan club de DJ Pure Platine. Il avait donc là deux indices : un numéro de téléphone et une adresse. Il composa dans un premier temps le numéro de téléphone inscrit sur le morceau papérifère en tentant de faire correspondre à chaque chiffre inscrit une touche du portable. Au bout d’un quart d’heure, il était parvenu à saisir l’intégralité des dix symboles. Une sonnerie retentissait dans le combiné, dans un suspense haletant, quand il entendit l’annonce suivante : « Hesse et fer[1], bonjour. Vous êtes sur le répondeur du 06 4A E1 93 BC. Laissez un message vocal après le bip sonore. ».

Gérard-Simon avait bien du mal à se faire à ces nouveaux numéros de téléphone hexadécimaux. Il raccrocha, sans laisser de message. Ce numéro téléphonique n’avait pas été d’une grande aide au déroulement de la mission qu’il s’était fixée. Il ne restait alors plus qu’un indice : ce fameux DJ Pure Platine. Étant trois heures du matin, il n’était peut-être pas trop tard pour rendre visite à cet homme. Il décida donc de se rendre à la boîte de nuit dans laquelle le disc-jockey mixait à l’aide d’une ambulance qu’il saisit dans le garage de l’hôpital. Une fois sur place, il put rentrer sans payer grâce à la carte de Jenny. Apparemment, il tombait pile au bon moment : le DJ qui officiait annonçait l’arrivée de DJ Pure Platine. Tout le monde dans la boîte jubilait de joie. Le jeune homme à la nuque longue gominée fit son apparition, vêtu d’un survêtement kaki fluo. S’asseyant sur le confortable fauteuil, ce dernier alluma son microphone et hurla : « Hey ! Yo ! DJ Pure Platine aux platines pour une soirée de pures psychopathes !!! Yeah ! Everybody on the dance-floor !!! ». Son accent east-coast avait de quoi impressionner les anglophiles les plus chevronnés.

DJ Pure Platine lança une de ses chaussures à la foule en délire. Une jeune femme eut l’arcade ouverte et s’effondra sur le sol. Elle décéda quelques minutes plus tard, écrasée par les danseurs. Le DJ reprit le microphone « Désolé les p’tits globules, j’ai oublié mes vinyles, mais vous avez de la chance, j’ai mon walkman avec une de mes meilleures cassettes de Funk-Groove ! ». Il inséra la cassette dans le lecteur audio platinum extra sensitive plus et mit la bande magnétique en route. Le son s’en émanant était sinistrement saturé et l’on pouvait entendre, par-dessus le morceau, les paroles « NRJ, il est quatorze heures seize… Vous l’avez découvert sur NRJ, on s’écoute tout de suite Craig David… ».

C’était l’ecstase. Tout le monde dansait et jumpait sur la piste de danse tandis que DJ Pure Platine laissait la cassette dans le lecteur, enclenchant la fonction « auto-reverse » afin de pouvoir aller se coucher paisiblement. Il est vrai qu’en semaine, DJPP, comme l’appellent les habitués, se couche à neuf heures et demie. Il prit donc la direction de sa loge, quand Gérard-Simon le bloqua et l’interrompit dans son action de sortie du local de mix.

« Je vous prie de bien avoir l’aimable obligeance de bien vouloir m’excuser… », entama Gérard-Simon.

« Oui, soit, je vous l’accorde, mais dans quelle mesure ?

– Eh bien j’aimerais savoir si vous cognassiez Jenny Studerbäckerstein…

– À vrai dire, il s’avère que je la cognasse, car elle officiait également au Macumba Night Extrem Club en tant que gogo danseuse.

– Vous voulez dire stripteaseuse ?

– Je veux bien, oui.

– Je vous en prie…

– Stripteaseuse.

– Je vous remercie.

– Que lui voulez-vous ?

– Elle est à l’hôpital, alors je cherche des amis à elle qui pourraient lui soutenir le moral. En particulier un dénommé Sigismond. Le connaissez-vous ?

– Pas du tout, désolé. Mais il se trouve malheureusement que je ne connais que très peu Jenny. Étant gogo danseuse, elle n’avait pas le droit de me parler car je représente une caste plus importante au niveau hiérarchique. Elle peut néanmoins gagner des calots pour bon comportement. Au bout de dix calots, elle gagne un boulard. Ce boulard lui permet alors de dire un mot à l’un de ses supérieurs hiérarchiques comme les DJs, les barmans, les balayeurs ou les videurs. Elle avait amassé en ces quelques années de métier une collection assez impressionnante de billes et a pu me dire une phrase entière… Elle voulait des renseignements sur un dénommé Aubin. Aubin Nonhallor.

– Qui est cet homme ?

– Comment ‽ Vous ne le connaissez pas ?

– Si, bien sûr ! Mais c’est pour que le lecteur puisse comprendre l’histoire.

– Je vois… Eh bien Aubin Nonhallor est le plus dangereux criminel de Saint Ronald des Monts, à égalité avec Gérard Manfin.

– Mon dieu…

– Lequel ?

– À vrai dire, je suis athée mais je crois en Dieu. Le Dieu grec Mohamed, qui vécut de 1624 à 1798 sur les terres mésopotamiennes et autre.

– Qu’est-ce que vous avez voulu dire dans cette phrase ?

– J’ai voulu dire le mot « mésopotamiennes », car il est vrai que si l’on ne l’emploie pas assez souvent, il risque de tomber en désuétude.

– Je vois complètement ce que vous tentez de dire….

– Dites-moi ce que Jenny voulait à cet homme !

– Je n’ai, je crois, malheureusement pas la réponse à cette question…

– Ainsi je comprends bien, il me suffit de retrouver cet Aubin pour obtenir plus de renseignements…

– Il est complètement exact.

– Et savez-vous où je peux le trouver ?

– Bien sûr. Il se domicilie au quartier général de la mafia de Saint Ronald des Monts. Vous trouverez l’adresse exacte dans l’annuaire.

– Je vous remercie monsieur le DJ.

– À votre service. »

Gérard-Simon de dirigea vers la sortie de la boîte nocturne afin de se lancer à la recherche de la plus fourbe des canailles de la ville : Aubin Nonhallor ! Pour ce faire, il décida de se rendre dans la rue du maréchal Prostite, connue pour ses trafics en tous genres ; principalement de chair, de drogue, d’organes et de tabourets en bambou. Ce lieu était idéal pour rencontrer un cerveau du crime comme lui, ou plutôt un « bulbe rachidien » puisqu’il n’était pas le seul constituant de ce cerveau organisé. Mais ça, Gérard-Simon ne le savait pas encore, et peut-être n’allait-t-il jamais le savoir, à moins qu’il ne l’apprenne, auquel cas il serait au courant ; sauf s’il ne comprend pas, car à cette condition, il ne le saurait pas. Quoique peut-être inconsciemment ; ce qui est possible, mais pas sûr.

Rapidement, Gérard-Simon arriva à destination. Il se devait d’obtenir des informations sur cet Aubin et savait que les membres de la mafia venaient souvent se ressourcer auprès des hôtesses qui rôdaient dans cette rue. Ne connaissant évidemment pas les goûts en la matière du brigand, il décida d’interroger une fille hasard. Il se dirigea donc vers l’une d’entre elles et tomba nez-à-nez avec un être vaguement féminin, arborant des vêtements particulièrement bariolés.

« Bien le bonsoir, charmante demoiselle.

– Salut ma p’tite couille en sucre… Tu veux du plaisir ? C’est 10 € par centimètre.

– Désolé, je n’ai que 200 € sur moi. », annonça Gé-Si pour toute excuse, préférant masquer son attirance homosexuelle.

« Non, je veux simplement des informations sur un dénommé Aubin. Aubin Nonhallor. », reprit-il.

« Je le connais, en effet.

– Eh bien mademoiselle, je vous écoute.

– Lui, ce qu’il préfère, ce sont les jeux avec des objets. Ses hôtesses préférées sont Germaine, Maxi-Boull’ et Roberto-de-minuit. Moi il n’est venu me voir qu’une fois ou deux. Quand Roberto était malade. Elle a attrapé le SIDA le mois dernier. On a cru que sa carrière était finie, mais elle s’est arrangée avec le patron, et elle nous a dit qu’elle était guérie. On était toutes très contentes pour elle.

– Ce n’est pas ce que je voulais savoir…

– Oh, je vois…

– Non, je ne crois pas.

– Alors dites-moi ce que vous voulez savoir…

– Eh bien je veux que vous me disiez qu’en fait, Aubin travaille actuellement sur le casse de la BDP, la banque du peuple ; qu’il est également actuellement sur un important trafic d’esclaves venus de pays lointains ou autre.

– Ah… D’accord… Eh bien en fait, Aubin travaille actuellement sur le casse de la BDP, la banque du peuple. Il est également actuellement sur un important trafic d’esclaves venus de pays lointains ou autre.

– Oh mon dieu ! C’est horrible ! Jamais je n’aurais pensé une chose pareille !

– Moi non plus.

– Dites-moi où je peux trouver cet homme !

– Juste derrière vous… »

Dans un brusque sursaut, Gérard-Simon se retourna pour découvrir une forme gigantesque, se dressant face à lui. C’était un homme de près de cinquante centimètres de haut, mais allongé. Il tenait dans ses mains une contrebasse, aussi laissait-ce penser que cet homme était un musicien et non un dangereux criminel. Touché par l’incongruité de la situation, Gérard-Simon se mit à pleurer. Pourquoi accuser cet homme ? Lui qui a l’air si gentil et si heureux de vivre…

« Mais voyons, mademoiselle la prostituée, je ne vous permets pas d’accuser cet homme d’être Aubin !

– Ce n’est effectivement pas Aubin. D’ailleurs c’est un sablier géant… »

Gérard-Simon se frotta les yeux et découvrit que ce musicien était bel et bien un sablier géant… Peut-être était-ce une hallucination due aux quantités abasourdissantes de LCD qu’il avait absorbées dans la soirée. La drogue commençait à faire son effet.

« Bien… Je suis désolé mademoiselle, mais le temps presse. Je dois trouver cet Aubin au plus vite. Dites-moi où je puis le trouver !

– Oui, tout à fait.

– Je vous en sais grès !

– Au revoir !

– Mais… Et l’adresse ?

– Oh ! Oui, suis-je bête ?

– Je crois…

– L’adresse est 2,4×1058 rue du pélican doré…

– Je vous remercie ! Au revoir mademoiselle… euh… mademoiselle…?

– Mademoiselle Eglandtine…

– Bonne soirée Eglandtine ! »

L’effet du LCD commençait à s’estomper quand le médecin quitta la rue pour rejoindra sa voiture. N’écoutant que son courage et son autoradio, il se rendit à l’adresse indiquée par Eglandtine, à laquelle Gérard-Simon repensait tendrement, regrettant qu’elle ne fût pas un homme… À vrai dire, il lui était déjà arrivé de coucher avec des femmes, mais exclusivement dans le cadre professionnel.

Au volant de sa Ford Mustang de 1982, Gérard-Simon fendait l’air à plus de 150 kilomètres par heure. Il fendit ainsi l’air jusqu’au croisement de la rue du Caribou des tropiques et de l’impasse du général Boursu, auquel il fendit également un piéton innocent qui cherchait simplement à se rendre de l’autre côté de la rue afin d’acheter une pizza dans le célèbre établissement des frères Dugras. Mais Gérard-Simon n’eut pas le temps de s’arrêter pour lui porter secours : une vie était en jeu !

Après quelques longues minutes de route, il parvint devant l’immeuble qu’avait mentionné Eglandtine. C’était une grande bâtisse sombre dont les fenêtres tombaient en lambeaux tandis que les murs portaient les profondes rides laissées par le temps et les tirs d’obus. Seule la porte d’entrée avait gardé une certaine fraîcheur d’avant-guerre. Gérard-Simon gara maladroitement son véhicule dans un caniveau faisant face à l’immeuble et en descendit, titubant sous l’effet de l’alcool – il fallait bien boire puisque la drogue ne faisait plus effet –, et se dirigea vers cette porte dont l’insouciance de la jeunesse semblait porter un coup d’un ton moqueur aux murs qui pourtant la soutiennent.

Devant la porte se dressaient deux gardes lourdement armés de masses d’arme automatiques à visée laser. Néanmoins, Gérard-Simon était déterminé à entrer et à parler à Aubin ; c’est pourquoi, s’armant d’une dague et de courage, il s’approcha des deux gardes et constata que sur le pull en laine du plus gros était brodé le prénom « Jean-Eudes ». Lui vint alors l’idée d’un stratagème étonnamment intelligent : feindre qu’il connaissait cet homme.

« Bonjour monsieur Jean-Eudes…

– Nous connaissons-nous ?

– Eh oui, c’est vrai !

– Ça alors ! C’est toi ‽

– Voilà, c’est ça ! C’est moi !

– Oh ! Mon amour ! J’ai toujours attendu cet instant…

– Ah m… Euh… Oui, moi aussi, mais… Euh… Je ne suis pas encore prêt…

– Oui, je comprends… Tu as besoin de temps ?

– En fait j’aurais plutôt besoin d’entrer dans ce bâtiment.

– Mais ce sont les quartiers d’Aubin notre chef…

– Justement ! J’aimerais lui parler.

– QUOI ‽

– Argh… Euh… Oui ! De toi !

– Ah ! Je comprends ! Vas-y, rentre mon trésor. »

Jean-Eudes n’était assurément pas le style d’hommes qu’apprécie Gérard-Simon, mais le plan avait fonctionné : il avait enfin franchit le seuil de la porte et allait bientôt savoir ce que Jenny voulait à cet homme si mystérieux.

CHAPITRE 7 – AUBIN

Un univers étrange s’offrait au médecin : des portes et des murs ornaient la totalité du couloir. Sur chaque porte se trouvaient des inscriptions qui indiquaient probablement le contenu de la pièce qui se situait derrière, mais pour Gérard-Simon, qui ne savait pas lire, ces indications étaient vaines. Il soupira. Cette ignorance a toujours été un handicap dans sa vie, et surtout dans ses études ; pourtant, grâce à son inébranlable volonté, il était parvenu à obtenir son titre de magasinier dans l’hôpital des Trépassés. Depuis, il avait gravi les échelons jusqu’à accéder à son actuel poste de chirurgien cardiologue ; poste toutefois contesté par l’AViDoGéSi (l’association des victimes du docteur Gérard-Simon). Cette contestation était injuste, car il était le seul à pouvoir occuper ce poste nécessaire à la survie des habitants de Saint Ronald des Monts. D’après de récents sondages sur les habitants de la mégapole, une personne sur trois avait déjà eu au moins deux leucémies, dont une provoquée par l’utilisation abusive de téléphone mobile, et l’autre par la centrale nucléaire, construite à ciel ouvert afin de refroidir plus efficacement le cœur du réacteur devenu instable en 1975.

Devant cette série de portes identiques, Gérard-Simon eut une réflexion spectaculairement brillante : « Aubin Nonhallor » est un patronyme constitué de huit syllabiques. Sachant cela, il n’avait plus qu’à trouver un mot relativement long en deux parties. Examinant chaque écriteau, il décela celui qui allait à coup sûr être le bon. Il franchit en réalité la porte portant l’inscription « défense d’entrer ». Un bureau en chêne massif se situait au centre de la pièce ; un homme d’une tente-septaine d’années y siégeait, lisant un papier de couleur blanche. Il prit alors la parole :

« Eh ben dites donc mon p’tit gaillard ! Tu sais pas lire ?

– Ben… Non…

– Hum… Bon… Ça ira pour cette fois. Qu’est-ce que vous voulez-vous ?

– Je souhaiterais voir Aubin Nonhallor.

– Ah ! Tu as de la chance ! C’est moi !

– Oh… Ça tombe bien. Voilà, j’aimerais que vous me parliez de Jenny Studerbäckerstein…

– Oh ! Ah, ah, ah ! Sacrée Jenny ! Oui ! Oh ! Ah… Hum…

– Vous la connaissez ?

– Eh bien écoute mon p’tit bouchon en mercure, je vais te dire oui tu sais…

– C’est fantastique ! Parlez-moi d’elle !

– Elle s’appelle Jenny. Elle est blonde… Elle…

– Permettez-moi de vous couper mais je le sais déjà.

– Boudiou ! Ben alors si vous le saviez il fallait pas me poser la question parce que sinon moi je réponds et comme tu connais la réponse, vous me dites que tu la connais déjà, or moi je vous ai déjà répondu donc après tu te rouspètes. Alors ça va pas. Tu comprends ce que je m’efforce de t’expliquer ?

– Oui, mais non. Je veux dire que j’aimerais une description de vos rapports avec elle.

– Bah alors si tu veux le dire pourquoi tu le dis pas ?

– Si, là je le dis.

– Tu as raison, et j’aime ça… Pour te prouver ma gratitude, je vais te répondre : Jenny et moi sommes des amis d’enfance. Nous sommes sortis ensemble pendant près de deux semaines et demi, mais j’ai décidé de la quitter pour devenir le bras droit de la Mafia.

– Oh… J’ai appris qu’elle cherchait à rentrer en contact avec vous… Pourquoi ?

– Elle essayait probablement de savoir ce qui était arrivé à Lucassine, sa meilleure amie.

– Et que lui est-t-il arrivé ?

– Nous l’avons capturée car elle avait appris que le grand parrain de notre organisation se nommait Jim Bob.

– Mais… Vous venez de me le dire…

– Ah m…! Exact… Aussi vais-je devoir vous éliminer.

– Noooooon ! Pitié ! Ne me tuez pas ! Je suis trop vieux pour mourir !

– Eh ! Oh ! Arrête tes « si malgré ».

– Vous n’allez pas me tuer ?

– Si tu me le demandes gentiment, je veux bien. Mais sinon, non. Ce n’est pas prévu. Jim Bob préfère s’en charger personnellement.

– Mais il ne me connaît pas !

– Jim Bob connaît tout le monde.

– Oh mon dieu… Je n’ai donc plus beaucoup de temps. Vite, dites-moi comment je peux retrouver Lucassine !

– Marche en direction du Soleil levant pendant cinq jours puis dirige toi vers la montagne de l’enfer jusqu’à ce que tu atteignes le rocher en forme de poulpe hydrocéphale.

– Je vous remercie de votre coopérative !

– Attends !

– Oui ?

– Tu peux également prendre le métro 12 jusqu’à la station « Château de Jim Bob ».

– Ah ! Le terminus, c’est ça ? »

Aubin eut un rire sinistre et ajouta « Le terminus, oui. ». D’un mouvement pédestre, il fit pivoter son imposant fauteuil à roulette, tournant le dos au médecin.

Gérard-Simon, heureux d’avoir obtenu cette précieuse information, prit la direction de la porte d’entrée jusqu’à ce qu’il se souvienne que quelqu’un l’attendait de l’autre côté de cette porte. Il était hors de question qu’il retombe sur cette brute de Jean-Eudes, aussi décida-t-il de tenter un autre passage. Examinant à l’entour, il aperçut une trappe ouverte qui le conduirait-elle peut-être vers une sortie subsidiaire. C’était un risque à prendre ! Il entrouvrit la trappe et essaya de la franchir, mais il ne l’avait pas ouverte assez grand. Aussi prit-il la décision de l’ouvrir plus grand afin de pourvoir glisser l’ensemble de son corps à l’intérieur de l’ouverture. Là, des centaines de dizaines de tuyaux formaient un tuyau dans lequel il put s’aventurer. L’éclairage était assez sombre, mais suffisamment pour que Gérard-Simon eût du mal à distinguer ce vers quoi il s’avançait. L’angoisse commençait à monter en lui alors qu’il se remémorait le film Alien, le huitième passager, où l’un des protagonistes rampait lui aussi dans une étroite conduite d’aération. Mais le médecin était un homme vaillant qui écoutait son cœur plutôt que ses yeux, et qui avançait toujours devant lui, même à reculons. Il savait toujours où il allait, même lorsqu’il était perdu. C’était aux yeux de toutes les femmes l’homme idéal et il savait toujours comment décliner poliment leurs avances.

Dans cet humide couloir tuyautal, la sortie se dessinait peu à peu au fond de son axe visionnaire. Ce n’était encore qu’un puits de lumière, maculant sa douce rétine châtain clair, mais l’aveuglement de la clarté le contristait à plisser ses yeux. Ce n’est que quelques décamètres plus tard qu’il put enfin constater que ce qu’il croyait être une sortie était en fait une entrée ! Une immense porte ouverte se dressait devant lui portant l’inscription « Entrée ». Particulièrement désappointé, Gérard-Simon se résigna à demi-tourner, mais à peine eut-il amorcé sa périlleuse manœuvre de retour sur ses pas qu’il repensa à la brute qui n’attendait que son retour à l’entrée. La situation était critique. Il se trouvait donc dans le cadre d’un dilemme cornélien. « Un dilemme cornélien ? », pensa-t-il. « Mais oui ! C’est la solution ! ». Il se remémora alors les paroles d’une chanson de Corneille : « et les pierres de chaque mur un jour se cassent ». Mais il ne vit pas le rapport.

Il prit alors son courage à une main et ouvrit la porte de l’autre. Soudain, la dure réalité de la vie vint le frapper de plein fouet : il venait d’ouvrir la porte des toilettes ! Gérard-Simon avait tout simplement oublié qu’il ne savait pas lire et que ce mot, « Entrée », qu’il croyait avoir vu, n’était qu’une illusion.

Pourtant, bien qu’illettré, Gérard-Simon était allé en classe de CP. Trois ans de suite d’ailleurs, mais alors qu’il allait entamer sa troisième année, décidé enfin à travailler, un événement tragique survint lors de son seizième anniversaire. Un être qui lui était cher venait de le quitter subitement. Un être qui s’était occupé de son éducation, jouant tantôt le rôle d’éducateur, tantôt celui de confident : Christophorin-Esclarmon, son lapereau de combat, venait de rendre l’âme. L’arrière grand-tante de Gérard-Simon, Mélissandrinette, atteinte d’insuffisance cardiaque oculaire, le confondit avec son dentier. Le pauvre animal survécut près de trois semaines dans un coma éthylique avant de décéder.

CHAPITRE 8 – TABOURET

Pendant ce temps, à l’hôpital, Jenny – contre toute attente – venait de sortir du coma. Tout le personnel exultait de la joie, sauf Raymond. Raymond, le commandant en chef du service hospitalier trépidait dans l’impatience à l’idée d’euthanasier la belle Jenny. Il avait même libéré un lit dans une salle privée au cas où Jenny ferait don de son corps à la science. Ce qu’il ignorait, c’est que quand bien même la belle fût décédée, jamais elle n’aurait opté pour ce choix ; en fait, elle avait d’ores et déjà décidé de se faire empailler puis offrir à Lucassine, sa meilleure amie, qui avait prévu de s’en servir de porte-manteau.

Jenny venait de se relever et fit ses premiers pas : elle semblait aller beaucoup mieux. Elle alluma l’allumière et se dirigea vers la direction de la salle de bains. Là, elle constata qu’elle était encore en vie et qu’elle ne portait que très peu de séquelles physiques en dehors de ses cheveux à peine repoussés. Piou-Piou, l’assistant de laboratoire vint l’interrompre pendant qu’elle se remaquillait pour s’informer de son état de santé :

« Bonjour, je me surnomme Piou-Piou.

– Pas moi.

– Oui, j’ai lu votre dossier : « Jenny, prématurée, née à sept mois, quitte les cours à huit ans et tombe enceinte d’un travailleur clandestin en quête de nationalité ronaldmontaise à quatorze ans. Ne souhaitant pas garder l’enfant, elle se fait avorter deux ans plus tard. » Ensuite. Pourquoi ?

– Ensuite quoi ?

– C’est moi qui pose les questions ici.

– Eh bien allez-y.

– Trop tard…

– Mais… Bon, puis-je vous poser une question à mon tour ?

– Vous venez de le faire.

– Oui mais une autre…

– Très bien… Je vous laisse votre libre arbitre.

– Merci… Puis-je savoir comment va Bad Boy Billy ?

– Oui.

– Oh non ! C’est imppossible !

– Rien n’est impossible.

– Même avec deux « p » ?

– Je suis désolé…

– Rhâaaaa ! Pourquoi ‽ POURQUOI ‽ Moi qui venais de rencontrer l’homme de ma vie !

– Non, ce n’est pas l’homme de votre vie puisqu’il est mort.

– QUOI ‽ Il est mort ‽ Je croyais qu’il dormait.

– Oui, il dort… Mais bien.

– Je vous remercie d’essayer de me masquer la dure réalité des choses, mais vous savez, j’ai déjà été confrontée à la mort… Mes parents ont été assassinés, tout comme mon ragondin des mers adoptif.

– Bien, bien. Mais trêve de bavardages en trop pestifs et inappropriés. Parlons de Gérard-Simon.

– Qui est-ce ?

– C’est notre médecin en chef. Il a décidé de vous prendre sous son aile.

– Ah, ah ! J’ai toujours su que les hommes volants existaient ! Je viens de gagner un pari qui va me rapporter douze yens.

– C’était une image, mademoiselle.

– Non, non ! Douze vrais yens !

– Très bien… Passons ce détail. Je voulais simplement vous dire que cet homme a voulu vous aider. Pour ça, il a décidé d’aller sauver votre meilleure amie Édouardine.

– Lucassine ?

– C’est ce que j’ai dit.

– Ah non, non.

– Si, si, je sais quand même ce que je dis !

– Ben regardez vous-même ! C’est marqué cinq lignes plus haut !

– Je ne comprends pas de quoi vous parlez mais je vois exactement où vous voulez en venir.

– Bon… Eh bien si cet homme est parti sauver Lucassine, je me dois de le rejoindre ! Et peut-être ce charmant garçon est-il l’homme de ma vie.

– Mais… Il a 58 ans et est homosexuel… »

La douce Jenny n’entendit pas cette phrase, ou peut-être ne voulut-elle pas l’entendre. Précipitamment, elle enfila ses chaussures et mit son blouson de rocker avant de courir à toutes jambes dans la rue, en direction de la station métropolitaine. Elle pénétra dans l’enceinte de la station, acheta un ticket et sauta le portique par réflexe. Elle n’attendit pas très longtemps avant de voir se profiler à l’horizon de ce si noir tunnel la silhouette élancée et majestueuse de la rame rouillée. Lorsqu’elle fut arrêtée, Jenny montât dans le premier wagon qui lui passait sous la main et s’engouffra en son intérieur. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle y découvrit un de ses amis d’enfance : Charly, dit « Charly le clodo ». Il était là, avec son accordéon, interprétant avec talent le célèbre morceau de « musique » du groupe de « musique » O-Zone. Certains voyageurs tentaient de s’enfuir par les fenêtres, d’autres en sciant le plancher, et certains même passèrent par la porte.

Lorsque Charly aperçu Jenny, il secoua la tête, envoyant ainsi des dizaines d’espèces d’insectes dans tout le wagon puis enleva ses lunettes de Soleil qu’il mettait par temps pluvieux pour avoir l’air à la mode.

« Jenny ! C’est toi ? », s’exclama-t-il.

« Non ! C’est moi ! », répondit Jenny.

« Ça alors ! C’est moi ! Charly !

– Charly !!! Je suis émute de te revoir !

– Moi aussi ! Que fais-tu ici ?

– Eh bien je suis à la recherche de ma meilleure amie d’enfance, Lucassine.

– Oui, je la connais bien, nous avons eu un enfant ensemble !

– Non Charly… Elle a avorté.

– La deuxième fois aussi ?

– Oui.

– Mais pourquoi ?

– Le médecin a dit que s’il naissait, il aurait des malformations à cause de l’alcool.

– Et alors ? Moi ça ne m’a pas empêché de devenir ce que je suis devenu.

– Charly… Tu es sans-abri, chômeur, célibataire et toute la ville te déteste !

– Comment Jenny ? Mais tu… » (Charly venait de sortir un couteau de chasse).

« Ah, si, bien sûr ! Où avais-je la tête ? Désolée Charly…

– Tu peux m’appeler chéri…

– Oui : cé, ache, eu accent aigu, erre, i…

– Euh… Peut-être. Tu descends à quelle station ?

– Au terminus…

– Bien… Et sinon ? Beau temps pour la saison, hein ?

– Je ne sais pas, nous sommes dans un tunnel. »

Le métro venait de s’arrêter à la station Judith Poisson, du nom de l’auteur du livre, quand un homme d’une beauté qui pique les yeux pénétra à l’intérieur du wagon. Dès que Jenny l’entraperçut, elle bondit de son siège subrepticement. C’était Tabouret ! Tabouret était un ami de Jenny qu’elle avait rencontré lors d’une cure de désintoxication. Alors que l’adolescente qu’elle était se passait peu à peu de l’effet de la benzédrine, Tabouret se remettait des terribles effets produits par les champignons hallucinogènes. Ils s’étaient connus dans ce centre ; connus jusqu’à s’aimer éperdument. Malheureusement, un trouble vint troubler leur amour. En effet, Tabouret n’avait jamais avoué à Jenny qu’il était marié et qu’il avait presque un enfant. Cette situation terrible avait contraint Jenny à tenter de se suicider en s’enfermant dans une cage emplie de terribles et hargneuses loutres. Par chance, un garde du zoo, qui passait par là, avait pu secourir la jeune fille avant que n’advienne le pire. Depuis, Jenny avait totalement pardonné Tabouret qui était, depuis, séparé de sa femme.

« Tabouret ‽ C’est bien toi ? », s’esclaffa Jenny.

« Sapristipopette ! Naaaaan d’un p’tit ch’val ! Jennifer Studerbäckersteinoskovitchskoff !

– Oui ! Enfin j’ai fait raccourcir mon nom… Je m’appelle Jenny Studerbäckerstein maintenant.

– Ah… Désolé, je vous avais pris pour Jennifer Studerbäckersteinoskovitchskoff.

– Mais c’est moi !

– Naaaaan d’un p’tit ch’val ! Jennifer Stu-derbäckersteinoskovitchskoff !

– Oui !

Ça alors ! C’est moi ! Tabouret ! Tu me reconnais ?

– Oui, oui ! Tabouret, bien sûr que je me souviens de toi !

– Oh là là ! Jenny, tu n’as pas changé ! Attends… Ne bouge pas… Ah ! Si ! Une drôle d’odeur s’émane de ton être…

– Ah oui, désolée ! Je te présente mon ami Charly… ».

Charly regardait Tabouret d’un œil mauvais depuis que Jenny avait posé ses yeux sur lui. Une pointe de lueur de jalousie émergisait de ses yeux encore troublés par l’alcool.

« Eh, toi ! », lança-t-il en regardant en direction du plafond.

« C’est à moi que vous parlez cher monsieur ? », rétorqua Tabouret.

« Gni ? Euh… Ouais ! Pour qui tu te prends ?

Pardon ?

– T’es en train de draguer ma femme !

Oh ! Vous êtes marié à Jennifer

– Oui.

– Mais non, pas du tout ! », intervint alors Jenny.

« Monsieur, vous êtes un menteur et un alcoolique !

– Quoi ‽ Je ne vous permets pas ! Je ne suis ni un menteur ni un alc… Je ne suis pas un menteur ! »

Tabouret, irrité par cette provocation décida d’invoquer la technique ancestrale du marcassin foudroyant des chaînes de montagnes du désert tadjik ! Cette technique millénaire consiste à frapper son adversaire au visage, le poing fermé. Il avait fallu des années d’entraînement intensif à Tabouret pour parvenir à maîtriser cette technique que lui avait enseignée un sage bouddhiste sur les hauts plateaux du Tibet, en Amérique latine.

Charly, par la violence du coup porté, fut projeté d’au moins douze centimètres en arrière, dont six pour le nez. Ce dernier, se sentant agressé, voulut riposter et élança son poing dans la direction mentonnière de Tabouret, mais sous l’effet de l’alcool, son poing partit vers le haut, heurtant la propre mâchoire de Charly. Cette dernière, sous le coup du choc, se trémoussa, laissant ainsi choir deux des cinq dents qu’il lui restait. En mauvaise posture, le clochard dégaina de sa poche un couteau suisse et en sorti la lame, la dardant vers Tabouret. Il s’élança alors, tête baissée. Tabouret, dans un acte de bravoure incommensurable, saisit la lame à mains nues ! Charly, stupéfait, observa la lame de son couteau et se rendit compte qu’il s’agissait en fait de la lime à ongles.

Profitant de ce moment de distraction, Tabouret poussa son adversaire sous les rails du métro. Charly s’écroula, mort. Jenny succomba de joie, bondissant à travers le métro en levant les bras en signe de victoire !

« Tabouret », prononça-t-elle, « je ne sais pas comment te remercier…

Moi je sais…

– Oui, mais moi je ne sais pas…

Oui, mais moi je s… »

Tabouret interrompit brusquement sa phrase car le conducteur du métro venait d’annoncer « Château de Jim Bob, terminus, tous les voyageurs sont invités à descendre, sauf Charly qui est déjà descendu ».

Les deux amis descendirent la marche reliant le wagon métroïque au sol garifère. Ils étaient tous deux très émus, car ils s’apprêtaient à affronter le terrible Jim Bob. Mais cela, Tabouret ne le savait pas puisqu’il se contentait de suivre Jenny. Ce n’est qu’une fois sur la route menant au château que la demoiselle exposa la situation à son ami : « Voilà l’histoire… », entama-t-elle.

Là, comme dans tous les mauvais livres et mauvais films, lorsqu’un personnage dit « je vais te raconter » ou « j’ai un plan, écoutez », on passe au plan ou au chapitre suivant ! Mais comment être sûr, dans de telles conditions, que le la personne en question raconte effectivement ce qu’elle est censé dire ? Et si, en réalité, il ne s’était rien passé ? Le lecteur ne le saurait jamais.


CHAPITRE 9 – JIM BOB

Jenny et Tabouret étaient maintenant dans le somptueux château de Jim Bob. La puissance de cet homme était tellement grande qu’il n’avait même pas jugé utile de placer des gardes à l’entrée de son palais ; aussi, n’importe qui pouvait y pénétrer, mais d’après les rumeurs, si quelqu’un avait le courage de s’aventurer trop en avant dans ce château, une créature d’une force incomparable viendrait protéger le maître des lieux.

Nos deux compagnons avançaient depuis maintenant des heures dans le noir le plus complet, car il n’y avait dans ce palais ni lampe ni fenêtre. Dans ces kilomètres de dédales obscurs, il leur fallait compter sur leurs autres sens pour espérer survivre, mais aussi découvrir l’endroit où se cachait ce fameux Jim Bob. Mais alors qu’ils étaient fatigués, las et épuisés, génie eut un éclair de Jenny et se souvint qu’elle avait sur elle une lampe torche, aussi l’alluma-t-elle. À leur grande surprise générale, ils constatèrent que cela faisait des heures qu’ils longeaient le mur d’une immense pièce circulaire de trois mètres de diamètre. Outrecuidés, ils décidèrent de franchir la porte de sortie qui se trouvait au centre de la pièce. Ils arrivèrent alors dans une grande salle au sommet de laquelle siégeait un trône sur lequel reposait le fameux Jim Bob ! Il eut semblé, en tous cas, que c’était Jim Bob ; lequel ressemblait à une banane géante ! Pourtant, rien dans son apparence ne permettait de le comparer à ce fruit tropical. C’est malgré tout le sentiment qu’eurent les deux comparses, et ils ne purent s’empêcher de penser à cette légende ; la fameuse légende numéro trente-sept du livre de contes de Saint Ronald des Monts qui annonçait de grands événements lors de l’apparition d’une banane géante…

L’homme, sur son trône, n’était pas seul : Lucassine était là, enchaînée près du tyran, l’air à gare. « Je vous attendais », lança l’hôte. Exaspiré, Tabouret sortit un sabre à lame inversée, prêt à tuer celui qui était devenu son ennemi mortel depuis le jour où… depuis le jour où… depuis vingt minutes.

« Je savais que vous viendrez… », poursuivit-il comme si de rien n’était.

Comment le saviez-tu ? », rétorqua Tabouret.

« Ce n’est pas pour rien que j’ai enlevé Lucassine… Je voulais en fait amener Jenny à moi…

Mais pour quelle raison

– Quel drôle d’accent vous avez là !

Oui, je suis d’origine italique.

– Eh bien comme le dit ce vieil adage : « il ne faut jamais remettre au lendemain ce que l’on peut faire sans casser des œufs ».

Mais de quoi parlez-vous ?

– Je ne vous répondrai que lorsque vous aurez vaincu le gardien de mon château ! KRASHFEU À TOI DE JOUER ! »

Une limace de trente-sept kilogrammes fit son irruption dans la pièce ! Elle s’élança vers Tabouret, désemparé… Sous le coup de la peur et de l’émotion, il s’évanouit, s’effondrant debout.

À son réveil, une heure plus tard, la limace était toujours en train de s’élancer dans sa direction, ayant progressé de près de vingt-trois centimètres. Se ressaisissant, Tabouret planta son sabre dans la nuque de la pauvre bête qui mourut sur le cou.

Jim Bob, désaccaparé, se décida à révéler son terrible secret qui se trouve être l’intrigue même de l’histoire à ses convives. Mais c’était sans compter sur un cri strident qui retentit brusquement dans la pièce ! C’était Gérard-Simon !

« Désolé ! », bredouilla-t-il, « Je me suis perdu en cherchant le château !

– Mais… Qui est-ce ? », interrogea Tabouret.

« Vous devez être Gérard-Simon, c’est cela ? », confirmanda Jenny.

« Oui, en effet ! Jenny, je suis ravivé de voir que vous allez mieux !

Mais qui est-ce ?

– C’est mon médecin ! »

Soudain, Jenny, poussée par la curiosité et par la gravité, demanda à Jim Bob de parachever son explication.

« Eh bien… », révéla Jim, « Je ne suis pas une véritable banane géante… Je suis… »

C’est alors que de l’une de ses mains il ôta le masque qui le recouvrait la tête. C’était Charly le clodo ! Charly le clodo était un ami d’enfance de Jenny. Mais Charly ôta le masque qu’il avait sur la tête, laissant découvrir un visage masculin, aux traits proches de ceux de Milla Jovovich. « Papa ! », s’exulta Jenny. En effet, cet homme était le père de Jenny.

« Mais ! », poursuivit-elle, « Fred ne vous avait pas tués, toi en maman, en vous déversant accidentellement vingt-cinq litres d’acide chlorhydrique concentré à douze moles par litre dessus ?

– Eh bien, pour te dire la vérité, nous avons couru ta mère et moi pour esquiver l’acide… Nous avons couru pendant près de trois semaines, puis nous n’avons plus jamais retrouvé le chemin de la maison…

– Oh ! Ça alors !

– Oui. C’est pourquoi j’ai décidé de capturer Lucassine lorsque je l’ai revue. Je me suis dit que ça allait te faire venir à moi. Et te voilà !

– Et… Et maman ?

– Eh bien ta mère a voulu changer de sexe… C’est désormais un très bel homme. », dit-il en regardant dans la direction du médecin. Gérard-Simon déversa une larme et courut vers Jenny pour la prendre dans ses bras.

« Ma chérie, je savais que nous te retrouverions !

– Maman ‽

– Oui mon poussin, c’est bien moi ! »

Jenny embrassa ses parents. C’était le plus beau jour de sa vie ! Folle de joie, elle se tourna vers Tabouret et l’embrassa goulûment. Sa vie était désormais telle qu’elle l’avait rêvée, petite.

Jenny et Tabouret se marièrent quelques jours plus tard puis vécurent heureux et eurent des monticules d’enfants. Ils en eurent précisément douze. Et comme Tabouret était un homme organisé, les enfants s’appelèrent Enfant_1, Enfant_2, Enfant_3, Enfant_4, Enfant_5, Enfant_6, En-fant_7, Enfant_8, Enfant_9, Enfant_10, Enfant_11 et Roger (Tabouret ne le reconnut pas car il était le seul enfant à ne pas avoir trois pieds comme son papa).

FIN




Partie 2

HUBERT


CHAPITRE 10 – UN INCROYABLE DESTIN…

Hubert Marcheciel était un jeune lycéen pas très abouti, et relativement peu complaisant envers la vie qui l’avait fait choir trois fois à la dernière place du classement du championnat de penta bond de Saint Ronald des Monts. Hubert était vêtu d’un physique ignominieux, inspirant la haine, la désolation, le chaos et les émissions culturelles d’M6. Toutefois, Hubert était quelqu’un d’assez beau, par rapport à son intelligence… Et sa seule quête dans la vie était la recherche de l’amour… L’amour ! Le vrai ! L’amour avec un grand tas !

Et cet amour, il ne savait pas où il le trouverait, mais il savait où il aimerait le trouver. Son dévolu s’était jeté sur la plus belle fille de sa classe de terminale ESSI (économie et sciences sociales industrielles) : Jenny Studerbäckerstein ! En cette superbe journée de printemps, il se décida à aller la voir… Il redressa ses lunettes, ajusta son sonotone, nettoya son appareil dentaire, cira ses semelles compensées et rentra sa chemise à carreaux dans son jean délavé… Il était fin prêt ! Il s’amorça vers Jenny :

« Salut Jenny !

– Ah ! Salut !!! Ça me fait trop plaisir de te voir Bob !

– Non… », sourit-il, « Moi c’est Hubert… »

Le jeune homme se retourna et ne constata rien… Il recula et réajusta ses lunettes… C’est alors qu’il constata un éphèbe noir de plus en plus de deux mètres, approchant le quintal, dont le patronyme n’était autre que Bob. Jenny lui serra la main, puis, pas que.

Quelques dixièmes de minutes plus tard, alors que Jenny était à nouveau seule, Hubert revint lui parler :

« Jenny ?

– Oui ? », invectiva-t-elle tendrement.

« Je voulais te parler de quelque chose…

– Ah ! Bah tu tombes bien ! Tu aimes les maths ?

– Oh oui ! Euh… Pourquoi ? »

Jenny darda vers lui son livre de maths, une blanche feuille ainsi qu’un stylo saugrenu pourvu d’une bille. Puis elle lui adressa :

« Y’a le 12 et 37 page 314 à rendre pour demain ! Tu me les fais s’il te plait ? Là j’ai un rendez-vous super important !

– Euh… D’accord, ânonna-t-il. »

Puis Jenny vagabonda hors de la salle d’étude dans laquelle elle était agencée, travaillant depuis de longues heures ! (Environ vingt-trois secondes pour être tout à fait exact). Hubert eut soudainement le sentiment de s’être fait endosser et fut piqué d’une vive fureur. Il en voulait à Jenny, mais quand même, il était amoureux. Il réalisa donc comme convenu les exercices de mathématique portant sur les multiplications de nombres à deux chiffres. Malgré la calculatrice qu’il avait en sa possession, Hubert eut beaucoup de difficultés à parvenir à bout de ce devoir. Peut-être avait-il simplement omis d’adjoindre des piles voltaïques à son appareil de calcul ? Probablement.

Il est vrai que, quelque extraordinaire que puisse paraître ce grand génie d’Hubert Marcheciel, il n’en était pas moins un homme distrait. L’une des anecdotes les plus intéressantes à ce sujet concerne le jour où Hubert se rendit chez son cousin jumeau à San Francisco. Ce n’est effectivement qu’au bout d’après cinq heures de bus qu’il s’entraperçut qu’il avait oublié tout simplement de se vêtir avant de s’extirper de son domicile.

Une fois les exercices mathématiques dûment parachevés, Hubert se saisit de sa jambe amovible qui gisait sur la table puis boita jusqu’au domicile de Jenny. Là, il se saupoudra d’un frais parfum, recoiffa les poils de lévrier afghan qui composaient sa perruque et se dépoussiéra l’œil de verre. Il resserra alors les boulons de son poignet en acajou puis toqua à la porte de l’être tant convoité.

Un mastodonte dont la hauteur ne permit pas à Hubert de constater les yeux ouvrit, nu, accompagné d’une fraîche odeur de bouquetin des Landes. La virilité palpable de sa jeunesse écartait d’emblée l’hypothèse que ce colosse fût le père de Jenny. Ou alors son père par alliance ? Cette alternative méritait d’être soulevée… C’est alors que tout doute fut dissipé : le géant questionna : « Tu veux quoi ? », suivi d’une liste quasi-exhaustive des jurons figurants dans le grand Larousse illustré.

Hubert, complètement déboussolé craqua et avoua qu’il était amoureux de Jenny. Ce à la suite de quoi, son bras craqua à son tour, bien que pas spécialement amoureux de Jenny. C’est alors que la rotule de son omoplate jaillit hors de son orbite pour se faux-filet au niveau de sa cage thoracique. Hubert, pour le moins désemparé tenta, malgré l’inanité de la tentative, d’houspiller cette sorte d’ours – dont le nom se trouvait être Grégoire – au niveau du visage avec son ultime bras valide, bien qu’articulé à l’aide d’un engin robotique. Hubert (ou Hubby comme se seraient plu à l’appeler ses amis s’il en avait eu) fut projeté par Grégoire dans une direction relativement opposée à celle du pas de la porte de Jenny.

C’est à ce moment-là qu’Hubert senti que sa visite à Jenny avait été un échec. Désemparé, mais néanmoins toujours motivé, Hubert regarda la réalité en face, puis en biais, puis de nouveau en face et finit par constater qu’il n’avait visiblement aucune chance de séduire la douce Jenny. Quelles solutions restaient à la disposition de notre pauvre hère ? Hubert les ressassa les unes après les autres… La première décision qu’il prit fut de se relever. En effet, le bitume n’est pas le meilleur ami de l’homme, aussi déprimé soit-il. De plus, Hubert était las de gésir si lamentablement sur ce sol froid. Il inspira profondément, toussa un peu, puis prit la décision de sa vie. Ou plutôt de sa mort, car Hubert avait décidé de mettre fin à ses jours, mais aussi à ses nuits en se suicidant. Et quel suicide ! Notre jeune héros avait opté pour la pendaison ! Acte hautement symbolique, puisque la pendaison offre une mort douloureuse et spectaculaire. Seulement, il fallait trois accessoires : un plafond, un tabouret et une corde. Seule la corde lui manquait, mais en fin surfeur qu’il était, Hubert se rendit sur Internet, se connecta à l’incontournable site des Pages Jaunes et tapa le mot-clé « cordes ». Au grand dam de notre ami, presque devenu intime au cours de ces quelques pages de lecture, il avait saisi ce mot-clé dans la case réservée au nom de la ville ! Là où il aurait dû, effectivement, inscrire le nom de sa localité, à savoir Saint Ronald des Monts, bien sûr.

Hubert se rendit donc – sans se rendre compte de son erreur – à la ville de Cordes-lès-Saint-Ronald, à quelques centaines de kilomètres de son domicile conjugal de célibataire qu’il était. Là, il comprit, désabusé, qu’il n’était pas dans un magasin, mais dans un village pittoresque de la région ronaldmontaise. Toutefois, loin de baisser les bras malgré le fait qu’il avait en cet instant les mains dans les poches, notre espiègle et charismatique héros décida toutefois de tenter sa chance et d’essayer de trouver une corde dans l’un des deux magasins de la ville. Le premier était une boucherie, et le vendeur n’avait rien d’autre que des tripes de porc pour faire office de corde. Hubert n’allait tout de même pas se rabaisser à se pendre avec de la charcuterie ! Il se rendit au magasin suivant qui était plus fourni. Il trouva son bonheur au hasard d’une allée, entre les fournitures scolaires et les vidéos pour adultes. Quelle ne fut pas la surprise de notre grand distrait lorsqu’il passait à la caisse quand il s’aperçut qu’une fois de plus, son étourderie lui avait joué des tours : il avait omis son portefeuille ! Heureusement, il avait toujours sur lui sa carte de crédit que le magasin ne prenait pas – cela va de soi – en dessous de 15 dollars, or la corde en coutait 14,99. Pour atteindre le prix, Hubby adjoignit à son chariot à roulettes un écran plasma et un déguisement de Zorro, le célèbre bandit espagnol qui défie les forces de l’ordre ; et tout particulièrement l’énorme sergent Garcia. Garcia, qui, il faut le dire, est le nom de famille le plus porté en Espagne, ce qui revient à dire en quelque sorte que Johnston McCulley, le créateur de Zorro, ne s’est pas vraiment embêté quant au nom de son méchant. Toutefois, le lecteur averti aura remarqué que des noms comme Studerbäckerstein ou Marcheciel font également partie des noms de familles les plus courants dans la région !

Présentement, Hubert avait à sa disposition l’ensemble des instruments qui lui permettraient de mettre un terme à sa trépidante vie, aussi se devait-il de rentrer chez lui, afin d’exécuter son exécution. Une fois parvenu à son domicile, Bébert sortit de son sac la fameuse corde, la déplia, s’agenouilla et pleura. Il se retrouvait une fois de plus complètement désemparé. Il venait de se rendre compte que non seulement le plafond était parfaitement lisse, n’offrant ainsi aucune prise pour la corde, mais qu’en plus de cela, il ne savait pas faire les nœuds – et a fortiori encore moins les nœuds pour une corde dédiée à pendre un homme.

Le jeune lycéen eut soudain un déclic. C’était évident ! Ce sort qui s’acharnait sur lui n’était pas dû au hasard ! Il ne devait pas mourir. Dieu l’en empêchait. Dieu avait besoin de lui.

CHAPITRE 11 – OU PAS…

Cela faisait maintenant presque une semaine qu’Hubert avait tenté de se suicider et qu’il méditait au pied d’un bonsaï, espérant un contact divin. C’était logique : si Dieu lui avait sauvé la vie, c’est qu’il avait un message à lui communiquer ; peut-être même une mission à lui confier ! Dans sa réflexion, le jeune albinos parvint à une conclusion pleinement satisfaisante : s’il avait un message à transmettre, il l’aurait fait depuis longtemps, mais s’il s’agissait d’une mission, Hubert devrait certainement la trouver lui-même. En fait, si Dieu devait lui confier effectivement une quête, alors cette quête viendrait à lui ; tout simplement !

Il ne restait alors à Hubby plus qu’à arpenter les rues ronaldmontaises et à attendre qu’une mission vienne à lui. Il décida donc de longer la rue principale du village, nommée Boulevard de la Mort en raison du nombre absolument stupéfiant d’accidents de la route qui s’y produisaient. Il est dit qu’un automobiliste circulant tous les jours sur cette rue meurt en moyenne au bout de deux semaines. Pour les piétons, comme Hubert, l’espérance de vie était bien plus courte ; d’autant plus courte, même, qu’il n’existait pas de trottoirs. Mais le lycéen était guidé par Dieu et ne craignait donc pas les automobilistes farouches dont les bolides étaient lancés à près de deux-cent kilomètres par heure, décollant au moindre dos-d’âne, nid-de-poule ou tête-de-veau. Dans un sublime concert de crissements de pneus et de klaxons, ponctués de temps à autres par une détonation, tantôt provoquée par un carambolage, tantôt par le coup de feu tiré par un conducteur excédé, Hubert se sentait bien. Il avait l’impression de ne plus faire partie du monde, jusqu’à ce que, brusquement, un pare-chocs détaché par la violence d’une collision vienne arracher le bras du malheureux. Heureusement, l’organe était synthétique, composé de métal en fusion et de clous en bois ; cependant, l’impétuosité du choc – en plus de détruire le bras cybernétique – avait piqué le jeune homme d’une vive douleur le faisant instantanément perdre connaissance.

À son réveil, Hubert ouvrit les yeux : tout autour de lui était d’une blancheur immaculée et une douce mélopée parvenait à ses oreilles. Déjà, sa quête avait été menée à bien ! La réponse était limpide : où trouver Dieu ailleurs qu’en son propre domicile ? Bien sûr ! Le Paradis était la réponse. Mais alors pourquoi ne pas l’avoir laissé se suicider ? « Probablement, », pensa-t-il; « les gens qui se suicident ne vont pas au Paradis. ». Perdu dans ses pensées, il entendit des bruits de pas se rapprocher. Un ange ? À la fois ému et paniqué, il n’osa bouger et garda les yeux rivés sur le plafond blanc. Un homme au regard parfaitement malsain se pencha au-dessus de lui. « Ah ! Bah voilà, il est réveillé ! », s’exclama-t-il. « Bonjour mon gars, je suis Gérard-Simon, directeur de la section des grands brûlés, des accidentés de la route et des « enfants du nucléaire » de l’hôpital des Trépassés. T’as eu du bol que… je te… euh… que je te trouve au bord de la route. », annonça-t-il, n’osant avouer que c’était son propre pare-chocs qui avait mis le pauvre garçon dans cet état ; et a fortiori n’osa avouer qu’il empruntait régulièrement cette route afin de provoquer sciemment des accidents, dénichant ainsi de nouveaux patients particulièrement rentables pour son service.

«Enfant_2 ! Apporte un truc à boire au monsieur ! Tu veux quoi mon gars ?

– Euh… je ne sais pas. Quelque-chose de fort. », répondit l’accidenté.

« Rapporte-nous deux diabolos-menthe. Et prends-toi c’que tu veux, numéro 2. ».

Le jeune garçonnet revint de la cuisine de l’hôpital avec les deux boissons mentholées et un solide scotch single malt. Le médecin s’enquit alors de l’état de santé de son patient :

« Dis-moi, mon grand, comment qu’il va ce petit bras ?

– Euh… je ne sais pas. C’est vous le médecin, non ?

– Ah, ah, ah ! Mais pas du t… SI ! Si, si ! Bien sûr ! Ahem… Ce bras… Mais oui, ça m’a l’air d’aller ! Tu peux bouger les doigts ou pas ? »

Hubert tenta alors de bouger les doigts de sa main droite quand, à sa grande surprise, ceux de la main gauche s’agitèrent. Il poussa alors un cri d’étonnement avant de réitérer l’expérience, qui se conclut par le même résultat. Il fit alors l’essai inverse : en essayant de bouger les doigts de la main gauche, ceux de la droite remuaient. « Mais… Vous avez tout inversé ! », se plaignit-il au médecin. Celui-ci, sentant que le malheureux n’oserait pas porter plainte tenta le tout pour le tout afin d’éviter de l’opérer à nouveau : « Absolument ! C’est une nouvelle technique qui vient des States. Il faut un petit temps d’adaptation, mais ça développe considérablement le cerveau. ». « Grâce à moi, tu seras un génie ! », se permit-il d’ajouter. Il donna alors un coup de coude discret à Enfant_2, sont petit-fils de cinq ans à peine, qui comprit immédiatement le message : « T’es le meilleur, papy ! ». L’effet désiré se produisit et Hubby fut complètement rassuré, voire satisfait de l’opération ratée. Cependant, il lui était difficile d’être heureux, car il s’était bien rendu compte que l’hôpital des Trépassés n’était pas le Paradis, et que, par conséquent, il n’avait toujours pas trouvé la nature de sa mission, jusqu’à ce qu’advienne une chose incroyable…

La porte de la chambre s’ouvrit et une femme d’une splendeur éclatante irrupta dans la pièce. C’était Elle : Jenny Studerbäckerstein ! Elle était d’une beauté funeste et portait dans ses bras un tout jeune nourrisson. « Bonjour maman, bonjour mon deudeux ! » lança-t-elle. « Votre journée s’est bien passée ?

Hubert n’écoutait même plus ce qui se disait et était absolument fasciné par Jenny ; ne parvenant pas à détourner ses yeux de ceux, d’un bleu luminescent, de la belle. Pire qu’amoureux, il se sentit soudain investi d’une mission divine : il venait enfin de tout comprendre ! Voici pourquoi Dieu l’avait empêché de se suicider, et voici pourquoi il l’avait conduit dans la rue pour qu’il ait cet accident terrible : il fallait qu’il revoie Jenny. Elle était la femme de sa vie, et il devait la séduire coûte que coûte !

CHAPITRE 12 – SIGISMOND

Il était bien difficile pour Hubert de faire quoi que ce soit dans la situation qu’était la sienne. Il gisait sur son lit d’hôpital, solidement attaché, les deux jambes suspendues à de petites poulies d’un vert argenté. Le jeune hydrocéphale, conscient des ses qualités cachées, et de ses défauts apparents, eut une idée qui pourrait peut-être le permettre de séduire la jeune mère : inspirer la pitié ! En effet, que faire d’autre dans une telle posture ?

« Ah, tiens, Jenny ! Ça me fait super plaisir de te voir. Ta vue apaise ma douleur terrible.

– Et donc là, je lui ai dit « Tabouret, passe-moi la télécommande. ». Et bah il avait compris « T’es bourré ! Parce que c’est moi qui commande. ». C’est pour ça qu’il m’a frappée. Ça se comprend. », expliqua Jenny à sa mère, n’ayant visiblement pas grand-chose à faire des propos de l’infirme.

« Jenny ? Hey ! Jenny ! Aïe… oh… je souffre ! Aide-moi.»

Gérard-Simon poussa un bouton, et un liquide gélifié d’un bleu électrique coula dans le cathéter. Quelques secondes plus tard, à peine, Hubert tomba dans un profond sommeil sans rêve.

Quand il ouvrit les yeux à nouveau, quelques heures plus tard, la pièce était vide. Sa tentative avait une fois de plus été un cuisant échec. En cet instant, le malheureux célibataire comprit qu’il ne lui restait plus qu’une chose à faire ; un acte de désespoir inconsidéré : ne parvenant résolument pas au moindre résultat avec la gent féminine, il lui fallait les conseils d’un pro. Mieux : il lui fallait une formation. Celle de l’homme le plus séduisant de tout Saint Ronald des Monts ; l’homme avec qui même Jenny n’aurait pas la moindre chance : Sigismond Hauterrien.

Né au XVe siècle, en plein cœur de Saint Ronald des Monts, à l’emplacement de l’actuel manoir du diabolique Gérard Manfin, construit sur un ancien cimetière indien; Sigismond Hauterrien est devenu maire de la ville le jour où les femmes eurent le droit de vote. Depuis à la retraite, le jeune homme de trente-sept ans s’était attelé à une noble cause : il formait les habitants du village au physique le plus ingrat à l’art délicat de la séduction. Il faut dire que l’homme était d’une beauté particulièrement troublante et était doté d’un charisme tout à fait remarquable. Grâce à ces éléments combinés, il est dit qu’en un délai de trois minutes à peine, il serait capable de faire se déshabiller n’importe quelle femme rien qu’en lui parlant. Il était Dom Juan. Il était Casanova. Il était Chuck Norris.

Le seul hic est que cet homme à la puissance sans égale était extrêmement difficile à rencontrer, devant se protéger des hordes de femmes affamées qui désirent l’approcher. Il est dit que Sigismond résidait à présent sur les hauteurs du Piton ardent, l’immense volcan surplombant la ville. Il ne restait à Hubert qu’à gravir cette montagne, mais cela est nettement plus facile à dire qu’à faire. En réalité, personne n’était encore parvenu à atteindre le sommet du pic dont la hauteur avoisine les onze mille mètres. Mais qu’importe si l’infirme devait y laisser sa vie : s’il ne parvenait pas à rencontrer le mentor, son unique issue serait la mort ! Sans hésitation, donc, le frêle héros se libéra de ses harnais et quitta l’hôpital en toute hâte, les yeux rivés sur son lointain objectif. Motivé comme jamais, bien que n’y connaissant strictement rien à l’alpinisme, le téméraire jeune homme attaqua l’abrupte versant ouest du volcan à mains nues et escalada comme il le put pendant des heures… des jours… des semaines ! Au bout de trois mois d’efforts surhumains, les mains en sang et la faim au ventre, Hubert avait enfin atteint le premier mètre d’altitude. Vues de cette hauteur, les coccinelles avaient la taille de fourmis ! C’était très impressionnant et le jeune homme fut pris de vertiges : « toujours regarder vers le haut », se souvint-il en scrutant le sommet, jaugeant ainsi le chemin qu’il restait à parcourir. Assez mécontent de sa performance, il fit un rapide calcul et constata qu’à ce rythme, il lui faudrait près de 3 000 ans pour atteindre le domicile du légendaire séducteur. Loin de se laisser abattre, l’aventurier redoubla d’efforts et franchit le cap des deux mètres au bout de quinze jours à peine.

C’est au bout de six mois que le drame se produisit : alors qu’Hubert avait atteint une vitesse de croisière impressionnante et qu’il franchissait le symbolique cap des dix mètres, une mauvaise prise le fit basculer en arrière et la chute fut inévitable. D’aucun auraient vu leur vie défiler devant leurs yeux ; Hubert, lui, vit ses six derniers mois d’escalade défiler sous ses membre endoloris. Sa tête heurta une pierre angulaire qui lui avait servi de table de pique-nique quelques jours plus tôt, puis sont bras frappa lourdement une branche sur laquelle il avait passé une nuit fraîche. Ici, son bassin percuta un rocher qu’il avait marqué de son territoire au cours d’une bataille contre un féroce escadron de moineaux affamés. Là, sa jambe valide se brisa contre une épaisse motte d’herbe où gisaient encore les restes de l’un de ses repas. Quelques mètres plus bas encore, l’alpiniste improvisé heurta le sol dans un bruit sec et perdit connaissance.

Une fois de plus, lorsqu’il recouvra ses esprits, Hubert se trouvait allongé sur un lit d’hôpital. Les pensées embrumées, il entendit le médecin-chef parler dans un magnétophone :

« Le patient est en état de choc septique sous protéine C activée. Le taux de prothrombine est descendu à 25% mais le temps de céphaline activée est à 3.23, donc normal. Les D-dimères sont négatifs…  Le fibrinogène est à 5. Les plaquettes sont en choc, ça peut être une CIVD. Cela peut aussi être un syndrome d’activation macrophagique… Tout porte à croire que c’est un cas de gale norvégienne ! Nom d’une pipe, le pauvre type !

Bigre, j’ai l’impression qu’il fait une atteinte hépatique !

Il faut que je voie le biologiste… Argh ! Nous n’avons pas de biologiste. Bon, je ne vois pas trente-six solutions ! Numéro 2 ! Passe-moi le thiopental sodique, le bromure de pancuronium, et le chlorure de potassium ! »

Le jeune garçon, loin de comprendre le langage de sa grand-mère déformé par de courts mois d’étude de la médecine et de longues années d’études de la téquila préféra feindre une crise d’autisme et quitta la pièce en hurlant. Hubert, qui ne comprenait par plus qu’Enfant_2 le vocable alcoolo-scientifique du médecin eut le réflexe – salutaire – de sortir de son coma et de saisir promptement le bras de Gérard-Simon qui s’apprêtait à administrer à son patient la dose létale. Stupéfait, l’éminent scientifique lâcha sa seringue qui explosa sur le carrelage de la chambre.

« Diantre ! Vous n’êtes pas mort ?! », s’étonna l’homme en blouse blanche. Tout en se frottant le menton, le transsexuel laissa échapper un cri. Dans un éclair de lucidité, il venait de comprendre son erreur de diagnostique : avant d’étudier le sang du patient au microscope, il faut le lui prélever ! Depuis tout ce temps, Gérard-Simon étudiait inlassablement le sang d’un même patient, décédé depuis longtemps. Ainsi, l’homme qui avait prêté son sermon à Hippocrate comprenait enfin les raisons de cette étrange épidémie de gale norvégienne dans la ville. Il eut alors une pensée émue pour les centaines de personnes qu’il avait dû euthanasier au cours des dernières semaines. Une larme phosphorescente coula le long de ses pommettes siliconées avant de choir sur le sol froid.


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[1] Notez la contrepèterie

Les fonctionnaires

ACTE I

SCÈNE 1

Marcel – Roger – Lucien – Une cliente

M   Roi de pique ?! Roi de pique ?! Mais merde Roger !!! Le roi de pique ?!

R   Eh oui ! Le roi de pique ! Je l’aurais gardé jusqu’au bout !

M   Mais tu coupais à pique le tour d’avant !!!

R   Eh non !!!

M   Ben si, tu m’as même pris ma dame !

L    C’est moi qui t’ai pris ta dame, con !

M   Mais non, toi tu viens de jouer pique !

L    Eho ! C’est pas du pique ça !!!

M   Et c’est quoi alors ?

L    Du… Hein ?! Bon, qui c’est qui a mis cette carte ici ?! Moi j’avais joué carreau !

R   Oh ! En parlant de carreau…

M   Oui ! Qui c’est qui va ouvrir la fenêtre ? On crève de chaud ici !

L    Ah non ! Merde ! C’est déjà moi qui suit allé la fermer hier soir !

M   Bon, j’y vais, mais alors tu sers le pastis !

L    On a plus de glaçons…

M   Bon, René, tu vas chercher les glaçons ?

R   Oui, je veux bien… Trois…

M   Mais non !!! Va les chercher !

R   Oh non !!! C’est toujours moi qui y vais !

M   Bah oui, c’est à toi d’y aller…

R   Bon, d’accord, mais c’est la dernière fois !

M   Ouais, ouais… Bon, allez, j’ouvre la fenêtre.

L    Eh, eh ! Oui, tu cliques dessus.

M   Hein ?

L    Bah oui, comme sur les machines…

M   Ké ?????

L    Mais si, le jour où le mec est venu pour nous apprendre comment ça marche.

M   Quoi ? L’ordinateur ?

L    Eh oui !

M   Oh là ! T’y es allé ? Moi j’étais ici avec René.

L    Ah ben oui ! C’est vrai ! On était que trois… Y’avait moi, le gros qui travaille le matin et puis Bébert… Tiens ! Ben d’ailleurs, tu sais pas qui j’ai vu ce matin ?! La femme de… Attends… Oui madame ?…

U   Oui, bonjour, j’aurais besoin d’une copie du formulaire B-272… C’est pour un changement d’adresse.

L    Ah désolé madame, le service des formulaires n’ouvre que le jeudi de dix heures à midi.

U   Mais… Et vous faites quoi vous ?

L    Ah nous madame, on s’occupe du traitement des dossiers.

U   Bon… Jeudi ?

L    Oui madame, de dix heures à midi. Demandez Éric.

U   Merci. Au revoir.

L    Au revoir madame.

R   Qu’est-ce qui se passe ?

L    Nan, rien, c’était pour un formulaire.

R   Ah ! Pour Marcel alors.

L    Ouais enfin je lui ai dit de revenir jeudi matin.

R   Mais y’a personne jeudi.

L    Ah si, y’a Éric.

R   C’est qui ?

M   Bah c’est le stagiaire.

R   Ah oui !

L    Eh, eh, eh !

M   Bah à son âge, ça fait pas de mal de travailler.

L    Eh ! René ! T’as les glaçons ?

R   Ouais, allez, tu peux servir !

Histoire 3

Il était une fois un jeune garçon du nom de Guillaume. Comme tous les jours, il rentrait du lycée, mais en arrivant chez lui, ses parents avaient reçu son dernier bulletin scolaire, lequel annonçait une moyenne avoisinant les 8.

Guillaume se fit crier dessus pendant une bonne heure, se disputant ainsi avec ses parents… Il s’enferma dans sa chambre et regarda les étoiles par la fenêtre. Une étoile filante déchira le ciel, et Guillaume fit le vœu d’être intelligent.

Le lendemain à son réveil, Guillaume était devenu intelligent (comme par hasard) ! Il se prépara et partit à l’école, tout excité. Une fois arrivé, il alla retrouver ses amis… Seulement, il se rendit compte pour la première fois de sa vie, que ceux qui avaient toujours été ses amis n’avaient aucune conversation. Ils ne parlaient que de sujets futiles et inintéressants au possible !

Plein d’espoir, il essaya d’entamer la conversation avec les « intellos » de la classe comme il les appelait avant. Seulement il se rendit compte qu’ils n’étaient pas si intelligents que ça, mais qu’ils passaient tout leur temps libre à travailler. Guillaume eut beaucoup de pitié pour eux, puis il s’isola des autres en attendant la reprise des cours… Il s’assit tout devant, afin d’expérimenter son savoir… Il comprit absolument tout le cours qu’il n’avait jamais suivi ! C’était fantastique…

Le soir, épuisé, il rentra chez lui, et alluma comme à son habitude la télévision… Malheureusement, plus une seules de ses émissions préférées ne l’intéressait. Il monta dans sa chambre et découvrit la profonde stupidité de toute sa collection de Titeuf. Il n’avait plus rien à faire, alors il prit une feuille et un crayon et écrivit…

Le temps passait, et sa vie allait de déception en déception… Il n’aimait plus cette vie. Plus rien ne lui convenait… Il avait bien cherché d’autres émissions de télé ou d’autres amis moins bêtes, mais c’était très difficile… Les garçons l’insultaient et les filles avaient peur de lui.

D’un point de vue scolaire, rien n’avait changé. Il avait exactement les mêmes notes, car, comprenant tous les cours, il n’avait même plus envie de le noter ou de faire les exercices ; ce qui le mettait en situation fâcheuse pour les contrôles.

Sa vie était bien pire que celle d’avant… Alors il fit le vœu de redevenir celui qu’il était avant.

Histoire 4

Le sol était plat… et terriblement froid… Il n’y avait pas de vent… Pas d’odeur… Rien… C’était comme si le monde entier avait disparu. Il s’avança, lentement… Puis il se heurta à un mur invisible ! Quel était cet endroit ! Il ne se souvenait de rien… Il était assis sur une branche de l’arbre, puis il était tombé. À son réveil, il était dans cette prison. Cette prison sans couleur. Il voulait sortir ! C’était insupportable !!!

« Au secours !!! »… Personne ne l’entend. Où sont ses frères ? Il était avec eux il y a encore cinq minutes… Pris d’un élan de colère, il s’élance à nouveau vers ce mur invisible… Il se cogne encore. Impossible de faire quoi que ce soit…

C’est alors qu’un bruit inquiétant se fait entendre… De l’eau coule d’en haut !!! Il va mourir noyé ! L’eau se déverse inexorablement. D’ailleurs, ce n’est pas de l’eau ! Il n’avait jamais vu ça auparavant… C’était un liquide jaunâtre, dégageant de fortes odeurs alcooliques…

« Merci, merci ! », s’écria Marcel… « Ah meeeerde ! Y’a un insecte dans mon Pastis !!! Bon… Tant pis, il parait qu’c’est plein de vitamines ! J’avais vu ça dans… Euh… Ouais, nan. »

Marcel ne prononçait jamais le mot « reportage » devant ses collègues du ministère. C’était un mot tabou. Une fois, René l’avait dit. Le soir même, son chien Pantoufle périt, écrasé par un jeune, conduisant une voiture en état d’ébriété (le jeune, pas la voiture).

« Les jeunes, ça respecte rien », lança Marcel afin de lancer le débat.

« Si, je crois », intervint Francis… « Je crois que… Ah ben non. »

Fin du débat.

« Ah bordel ! C’est quoi ce jeu ?! », râla André… « Putain, c’est de la merde ce jeu ! Bon, moi je prend pas ! »… « Moi oui », fanfaronna Marcel qui possédait sept atouts et deux rois.

« Eh ! Attendez ! », s’exclama Francis. « Il est seize heures »… « Ouais, oh… Tant pis, on fera des heures sup… », de lui répondre Marcel.

« Les trantsink heures… Ça fait quand même beaucoup… », affirma Maurice qui venait de se réveiller. « On d’vrait p’têt faire une grève… C’était quand la dernière ?… Hier ?! Ah mais merde ! Fallait me le dire ! Je serais venu… Ouais, remarque, non… »

FIN

Histoire 1

Le jour venait de se lever, accompagné comme à l’accoutumé du fier chant du coq. Dès lors, le travail à l’écurie prenait vie. Les écuyers brossaient les chevaux et nettoyaient les selles de leurs maîtres. Les garçons d’écurie frottaient le sol et remplissait les bacs d’avoine. Les femmes quant à elles allaient chercher l’eau au puits et préparaient le banquet des seigneurs. Il fallait que tout soit prêt avant midi ; heure à laquelle les chevaliers se réunissaient autour de la table avant de partir chasser et s’occuper de leurs terres et leurs habitants.

Almeril cirait avec soin le bouclier de son maître, rêvant de la douce Ange-Lyne. Elle était si belle avec sa lourde cruche dans les bras, revenant du puits… Dès que son maître serait parti, après le déjeuné, Almeril irait lui avouer son amour. Il avait tant d’espoir en lui… Il n’avait jamais éprouvé d’amour si profond, mais cette fois-ci, il sentait que tout était possible.

Almeril n’était certes pas l’un des hommes les plus séduisant du château ; on peut même dire qu’il était déplaisant ; mais c’était quelqu’un de vraiment extraordinaire. Dès qu’il avait fini son travail, il laissait s’exprimer son talent créateur sous toutes ses formes. Il jouait du luth, faisait de la sculpture sur bois, écrivait des poèmes et s’entraînait à l’épée. Et cela, Ange-Lyne le savait… C’était là-dessus qu’Almeril comptait.

Le moment venu, il alla la voir, demandant à lui parler seul à seul.

Il lui offrit alors un rondin de bois sur lequel il avait sculpté le visage d’Ange-Lyne à côté duquel figurait ces mots :

« Ange-Lyne mon cœur, ma mie. Laisse moi t’offrir mon amour, te rendre heureuse. Laisse moi t’offrir le bonheur qui t’es dû. »

Puis il lui dit « Ange-Lyne, je t’aime… »

Elle le regarda dans le fond des yeux avec un regard qui semblait dire « Tu ne comprends rien », puis elle laissa tomber le rondin et s’en alla sans dire un mot.